L’arrêt Commission c. Conseil du 16 juillet 2015 (grande chambre, aff. C-425/13), constitue sans doute une affaire importante dans le contexte de la conduite des négociations d’accords internationaux auxquels l’Union européenne est partie. Il s’agit de la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur l’étendue du pouvoir du Conseil d’arrêter des directives de négociation notamment en y incluant des dispositions procédurales ainsi que sur le rôle du comité spécial désigné par le Conseil, conformément à l’article 218, paragraphe 4, TFUE.
Le présent litige portait sur la décision du Conseil de l’Union européenne autorisant l’ouverture de négociations sur la mise en relation du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne avec le système mis en place en Australie.
Dans son recours, la Commission européenne a demandé à la Cour de justice d’annuler l’article 2, seconde phrase, de la décision ainsi que la section 2 de l’annexe de ladite décision (ci-après la «décision litigieuse»). A l’appui de son recours, la Commission européenne a avancé que la procédure détaillée énoncée dans les directives de négociation, serait contraire à l’article 13, paragraphe 2, TUE, à l’article 218, paragraphes 2 à 4, TFUE et à l’article 295 TFUE ainsi qu’au principe de l’équilibre institutionnel.
Afin d’analyser les arguments en cause ainsi que les dispositions de la décision litigieuse, la Cour de justice a divisé son raisonnement en deux parties. Dans la première partie, elle a examiné les arguments de la Commission et du Conseil quant à l’article 2, seconde phrase, de la décision litigieuse. Dans la seconde partie, elle a effectué ce même examen en ce qui concerne la section A de l’annexe de ladite décision.
L’article 2, seconde phrase, de la décision litigieuse prévoit une obligation selon laquelle «la Commission informe le Conseil par écrit de l’issue des négociations après chaque session de négociation et, en tout état de cause, au moins une fois par trimestre». Premièrement, la Cour de justice a considéré que cette obligation était conforme à l’article 218, paragraphes 2 et 4, TFUE. Cette conformité s’expliquait par le texte même de l’article 218 TFUE qui prévoit, en particulier, que les accords internationaux sont négociés par la Commission, dans le respect des directives de négociation arrêtées par le Conseil. En outre, le paragraphe 4 de l’article 218 TFUE, prévoit que, lorsque le Conseil a désigné un comité spécial, les négociations doivent être conduites en consultation avec ce comité. La Cour a considéré que dans un cas comme celui sous examen, la Commission doit fournir à ce comité spécial les informations nécessaires tout au long des négociations. Pour la Cour, ce n’est que de cette manière que le comité spécial se trouverait en mesure de formuler des opinions et des indications relatives à la négociation. De plus, il peut être exigé de la Commission qu’elle fournisse ces informations également au Conseil. Deuxièmement, la Cour a estimé que l’article 2, second paragraphe, de la décision litigieuse n’était pas contraire au principe de la coopération loyale prévu à l’article 13, paragraphe 2 TUE. Selon la Cour, la coopération loyale traduisait dans ce contexte le principe de l’équilibre institutionnel, lequel implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres (voir arrêt Conseil c. Commission, aff. C-409/13, pt 64). Troisièmement, la Cour a rejeté toute argumentation autour d’une violation alléguée de l’article 295 TFUE. Cette disposition ne faisait pas d’obstacle à une disposition comme celle en cause. Par conséquent, en ce qui concerne l’article 2, second paragraphe de la décision litigieuse, la demande d’annulation de la Commission a été rejetée.
Dans la seconde partie de son analyse, la Cour a examiné la section A de l’annexe de la décision litigieuse. Celle-ci contient quant à elle quatre points concernant le rôle du Conseil et du comité spécial dans le processus de négociation. La Cour a de nouveau souligné que les termes «en consultation avec ce comité», conformément à l’article 218, paragraphe 4, TFUE, signifie que la Commission doit informer ledit comité de tous les aspects des négociations afin que celui-ci puisse être utilement consulté. Selon la Cour, l’article 218, paragraphe 4, TFUE doit donc être interprété comme habilitant le Conseil à prévoir, dans les directives de négociation, des modalités procédurales régissant le processus d’information et de communication entre le comité spécial et la Commission. La Cour a considéré que de telles règles répondant à l’objectif d’assurer une bonne concertation sur le plan interne. En appliquant cette interprétation aux directives litigieuses, la Cour a conclu pour la plupart des points contenus dans la section A de l’annexe de la décision litigieuse qu’ils étaient conformes à l’article 218, paragraphe 4 TFUE.
Cependant, la Cour a retenu que les directives litigieuses contiennent deux formulations susceptibles de priver la Commission de son pouvoir de négociateur. D’une part la phrase «[l]e cas échéant, les positions de négociation détaillées de l’Union sont établies au sein du comité spécial (…), ou au sein du Conseil», et d’autre part la phrase qui vise à permettre au comité spécial, avant chaque session de négociation, «d’établir des positions de négociation». La Cour a considéré qu’il ressort de ces dispositions, lues à la lumière de leur libellé et placées dans leur contexte, qu’elles visent à ce que ces positions déploient des effets contraignants pour le négociateur. Or, un caractère contraignant des positions établies par le comité spécial, ou par le Conseil lui-même, était contraire à l’article 218, paragraphe 4, TFUE. La Cour a estimé que de conférer au comité spécial la fonction d’établir des positions de négociation détaillées de l’Union excèderait en effet la fonction consultative qui lui est assignée. Il s’ensuivait, selon la Cour que le Conseil a violé l’obligation énoncée à l’article 13, paragraphe 2, TUE d’agir dans les limites des attributions qui lui sont conférées par l’article 218, paragraphes 2 à 4, TFUE. Ce faisant, le Conseil a également enfreint le principe de l’équilibre institutionnel. Dans ces conditions, la Cour a jugé que les deux phrases contenant les formulations en question doivent être annulées.
En somme et en tenant compte de l’ensemble des considérations, la Cour a statué d’annuler la décision litigieuse partiellement. Pour le surplus, la Cour a rejeté le recours.
Stefanie Schacherer «Quelle est l’étendue du pouvoir du Conseil d’arrêter des directives de négociation ?», www.ceje.ch, Actualité du 17 juillet 2015