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Affaire « Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation » : la législation fiscale britannique est déclarée compatible avec le droit communautaire

Diane Grisel , 10 janvier 2007

Le 12 décembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a rendu son arrêt dans l’affaire C-374/04 « Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation contre Commissioners of Inland Revenue ».

Quatre groupes d’« affaires pilotes », dont deux attendent toujours un jugement, portent le nom « Test Claimants » sur le rôle de la CJCE ; elles sont représentatives d’un grand nombre de procédures réunies en « Group Litigation » intentées devant la High Court of Justice (England & Wales) par des contribuables réclamant une compensation pour des dommages causés par le respect d’une législation fiscale dont ils prétendent qu’elle est contraire au droit communautaire ou aux conventions destinées à éviter la double imposition.

L’ensemble de litiges (l’« ACT Group Litigation ») dont l’affaire C-374/04 constitue le groupe « Class IV » réunit plus de 200 sociétés. Les 28 demandes du groupe « Class IV » qui profiteront des réponses aux questions préjudicielles posées dans l’affaire C-374/04 ont été introduites par des groupes de sociétés comprenant des sociétés résidentes au Royaume-Uni soumises à l’impôt anticipé sur les sociétés (« advance corporation tax », ACT) et des sociétés non résidentes auxquelles n’est octroyé aucun crédit d’impôt. Or une société anglaise bénéficiaire de dividendes d’une autre société anglaise bénéficie d’un tel crédit d’impôt, qui lui permet, afin d’éviter la double imposition économique, d’imputer une partie de l’ACT payé par la société distributrice sur le montant dont elle-même est redevable au titre de l’impôt sur les sociétés. Les sociétés demanderesses soutiennent que la différence de traitement entre les sociétés bénéficiaires résidentes et les sociétés bénéficiaires non résidentes est discriminatoire, et donc contraire au droit communautaire.

Premièrement, la Cour juge qu’il n’est pas contraire à l’article 43 CE (liberté d’établissement) ni à l’article 56 (libre circulation des capitaux) pour un Etat membre de prévoir qu’une société A résidente sur son territoire qui perçoit des dividendes d’une société B résidente se voie accorder dans cet Etat un crédit d’impôt correspondant à la fraction du montant d’ACT payé par la société B tandis qu’une société non résidente, qui n’est pas assujettie à l’impôt dans cet Etat, percevant des dividendes d’une société résidente n’y bénéficie pas d’un tel avantage.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour rappelle sa jurisprudence constante qui lui a permis d’intervenir de manière incisive dans un domaine pourtant soustrait à la compétence communautaire. En effet, nonobstant la compétence des Etats membres en matière de fiscalité directe et la faculté pour les Etats membres, à l’exception des participations relevant de la directive 90/435 « mère-filiale », de prévoir de façon unilatérale ou au moyen de convention préventive de la double imposition (CDI) des mécanismes visant à éviter une double imposition, les Etats membres doivent s’abstenir d’adopter dans le domaine fiscal des mesures qui violeraient le droit communautaire. L’obligation d’exercer la compétence fiscale en conformité avec le droit communautaire a été définie comme l’interdiction, dans les domaines de la liberté d’établissement et des libertés de circulation des personnes, des services et des capitaux, de toute discrimination ou entrave injustifiée. A cet égard, pour conclure à une différence de traitement fiscal discriminatoire, il convient de déterminer si les situations auxquelles sont appliquées des règles différentes sont comparables. En l’espèce, la Cour estime que lorsque l’Etat de résidence de la société distributrice et celui de l’actionnaire bénéficiaire n’est pas le même, l’Etat membre de résidence de la société distributrice ne se trouve pas dans la même position en ce qui concerne la prévention de la double imposition que l’Etat membre de résidence de l’actionnaire bénéficiaire. Soulignant que ni les dividendes perçus par une société résidente ni ceux perçus par une société non résidente ne sont assujettis à l’impôt au Royaume-Uni quand la société distributrice réside dans cet Etat, la Cour conclut qu’il n’existe aucune différence de traitement. Quand bien même cette hypothèse ne fait pas l’objet des questions posées par la juridiction nationale, la Cour précise néanmoins qu’en vertu de ses arrêts Manninen (C-319/02) et Lenz (C-315/02), les dividendes perçus par les actionnaires résidents d’une société non résidente doivent bénéficier d’un traitement fiscal équivalent à celui réservé aux dividendes perçus par des actionnaires résidents d’une société résidente. La Cour relève également que si un Etat soumet à sa compétence fiscale, unilatéralement ou par le biais d’une CDI, les revenus des actionnaires non résidents pour les dividendes perçus d’une société résidente, il doit assurer un traitement équivalant aux actionnaires non résidents et aux actionnaires résidents.

Deuxièmement, la Cour se prononce sur la conformité avec le droit communautaire de la non extension aux résidents d’autres Etats membres du traitement de la « nation la plus favorisée » et des clauses de « limitation d’avantages ». Ces dernières, contenues dans les CDI, limitent le droit aux avantages fiscaux des sociétés résidentes des Etats contractants en fonction du lieu de résidence des personnes qui contrôlent ces sociétés. La Cour considère que les articles 43 et 56 CE ne s’opposent pas à ce qu’un Etat membre n’étende pas à d’autres Etats membres les avantages, tels le droit à un crédit d’impôt, prévus dans des CDI. De tels avantages font, selon elle, partie intégrante des conventions négociées entre deux Etats et contribuent à leur équilibre général. Le fait qu’ils soient limités aux personnes résidentes de l’un des deux Etats membres contractants est une condition inhérente aux conventions bilatérales préventives de la double imposition. La Cour confirme ainsi son arrêt D (C-376/03) dans lequel elle a jugé que des distinctions entre non résidents (distinction horizontale) créées par des conventions fiscales étaient compatibles avec la libre circulation des capitaux. Cet arrêt a pourtant été contesté car il semblait avoir pour conséquence que la simple présence d’une convention bilatérale excluait l’existence d’une discrimination interdite en raison de l’impossible comparabilité des situations.

Quand bien même la Cour aboutit aux mêmes conclusions que celles soutenues par l’avocat général Geelhoed, elle n’adhère pas à la proposition de ce dernier de distinguer entre les « restrictions » (inadmissibles) et les « quasi-restrictions » (admissibles) à la liberté d’établissement. Cette tentative de classification était motivée par le souci de systématiser la jurisprudence luxembourgeoise en matière de fiscalité directe rendue en relation avec les libertés fondamentales. Le système britannique en cause dans cet arrêt, qui visait à éviter la double imposition économique, a été aboli en 1999. Il convient enfin de préciser que la Cour a rendu le 12 décembre 2006 un second arrêt dans un litige relevant du type « Group Litigation » regroupant des recours formés par des sociétés résidentes du Royaume-Uni au sujet du traitement fiscal de dividendes perçus de sociétés ne résidant pas dans cet Etat membre (« Test Claimants in the FII Group Litigation contre Commissioners of Inland Revenue », affaire C-446/04).


Reproduction autorisée avec indication : Diane Grisel, "Affaire « Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation » : la législation fiscale britannique est déclarée compatible avec le droit communautaire", www.ceje.ch, actualité du 10 janvier 2007.