Suite à l’acceptation de l’initiative populaire « contre l’immigration de masse » par le peuple suisse le 9 février 2014, une ombre de doutes juridiques a couvert le paysage de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne mis en place par l'Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). En effet, la main d’œuvre étrangère participe à l’économie suisse depuis de nombreuses années, et la libre circulation des personnes permet aux ressortissants de l’Union européenne, de choisir, sous conditions, leur lieu de travail dans l’ensemble des Etats membres. L’initiative acceptée en 2014 vise à modifier ce système par le biais de la fixation de plafonds et contingents annuels applicables aux autorisations de séjour octroyées aux étrangers, l’instauration d’une préférence nationale au niveau de l’emploi, ainsi que la renégociation des accords contraires à l’initiative. Cette volonté populaire de gérer l’immigration bouleverse la politique entre la Suisse et l’Union européenne dans la mesure où de nouvelles solutions doivent être négociées, sous peine d’une dénonciation de l’Accord qui, compte tenu de la clause « guillotine », mettrait à mal les autres accords. Au sens de l’article 197, chiffre 11, alinéa 1, de la Constitution suisse, une décision doit être prise au plus tard en février 2017. Dès lors, en attendant une solution consensuelle avec l’Union européenne, l’article 121a de la Constitution sera mis en œuvre au moyen d’une « clause de sauvegarde unilatérale » mise en place par le Conseil fédéral afin de gérer la délivrance d’autorisations.
Les questions soulevées peuvent aussi trouver une esquisse de réponse temporelle dans la jurisprudence du Tribunal fédéral. Dans une affaire concernant le retrait d’un permis de séjour, le Tribunal fédéral a saisi l’occasion pour exprimer clairement, mais non sans controverse, l’état de la relation entre l’ALCP et le nouvel article 121a de la Constitution suisse.
Cet arrêt du 26 novembre 2015 a été prononcé dans le cadre d’un litige relatif au refus par autorités zurichoises de prolonger l’autorisation de séjour à une ressortissante de la République dominicaine (2C_716/2014). Cette dernière avait obtenu en 2003 une autorisation de séjour afin de pouvoir vivre auprès de son partenaire, de nationalité allemande, ainsi qu’auprès de leur fils commun – lui-même en possession d’une autorisation de séjour dérivée du père. L’année suivante, suite à la dissolution de la vie commune, la mère et son fils se sont installés dans un établissement d’accueil mère-enfant. Malgré l’aide sociale importante que la mère percevait, son permis de séjour a été prolongé jusqu’en 2012. En 2013, les autorités cantonales ont décidé de ne plus accorder de prolongation et donc, de retirer le permis au motif de sa dépendance à l’aide sociale, au sens de l’article 62, lettre e, de la loi fédérale sur les étrangers. Nonobstant la limitation de l’article 83, lettre c, chiffre 2 de la loi sur le Tribunal fédéral, le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral est recevable en raison de l’invocation par les recourants de l’article 3, chiffre 6, de l’Annexe I, de l’ALCP et de l’article 8 CEDH qui ont trait à l’admission à l’enseignement des enfants d’un ressortissant d’un Etat contractant de l’Accord et au droit à la vie familiale. Comme ils se prévalent d’un droit contenu dans l’ALCP et la CEDH, il sied au Tribunal fédéral de se prononcer sur l’interprétation de l’Accord en fonction du nouvel article 121a de la Constitution suisse.
En effet, de jurisprudence constante, le Tribunal fédéral tient compte des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne postérieurs à la date de signature de l’Accord au sens de l’article 16, paragraphe 2, ALCP afin d’assurer une équivalence des droits et obligations entre parties, et ne s’en écarte uniquement lorsque cela est justifié par des raisons concrètes. La juridiction fédérale souligne qu’un Etat ne peut se soustraire à ses obligations internationales en invoquant le droit interne au sens de l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, et précise que la jurisprudence Schubert - qui permet de déroger aux traités internationaux lorsque l’Assemblée fédérale le fait de manière délibérée – ne trouve pas à s’appliquer lorsqu’il est question de droits de l’homme, conformément à la jurisprudence PKK.
Ainsi, dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne concernant les autorisations de séjour et les moyens financiers de la partie demanderesse. Il fait notamment le parallèle entre l’article 24, Annexe I, de l’ALCP et l’article 1, paragraphe 1, de la directive 90/364 relative au droit du séjour qui indique que les Etats membres octroient les permis de séjour aux ressortissants des Etats membres l’Union européenne et à leurs familles « […]à condition qu'ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, […] de ressources suffisantes pour éviter qu'ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l'assistance sociale de l'État membre d'accueil ». Le Tribunal fédéral se réfère notamment à l’arrêt Zhu et Chen rendu en 2004 par la Cour de justice de l’Union européenne qui examine une demande de séjour à travers une pesée des intérêts entre le droit à la vie familiale et l’intérêt public, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un danger à l’ordre public ou une charge importante pour les finances de l’Etat. Dans le cas d’espèce, la relation familiale de l’enfant avec son père n’est pas pertinente compte tenu du fait que ce dernier ne remplissait pas ses obligations parentales, aucune relation affective n’a pu être établie. Au surplus, la demanderesse perçoit une aide sociale depuis plusieurs années. Elle invoque qu’elle a trouvé un emploi et qu’elle ne devrait donc plus percevoir d’aide sociale à l’avenir, mais ceci constitue un fait nouveau que le Tribunal fédéral ne peut prendre en compte. En raison de l’ensemble de ces considérations, le recours est rejeté et il est constaté que les recourants n’ont à ce stade, aucun droit de séjour auquel ils pourraient prétendre.
L’interprétation donnée à l’Accord sur la libre circulation des personnes ne semble pas affectée à ce stade par le nouvel article 121a de la Constitution. Cette conception peut sembler controversée compte tenu de la volonté du peuple exprimée en 2014 mais n’est en aucun cas fausse ou injustifiée en raison de la hiérarchie des normes. En effet, les principes de droit international impliquent le respect des engagements, nonobstant un changement législatif national.
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Alicja Zapedowska, «L’Accord sur la libre circulation des personnes et l’article 121a Constitution fédérale : un regard du Tribunal fédéral», Actualité du 23 mars 2016, disponible sur www.ceje.ch