Une ressortissante roumaine qui souhaitait exercer une activité de prostitution en Suisse s’est vu refuser l’octroi d’un permis de séjour par l’autorité compétente du canton de Lucerne, au motif que le club qui demandait le permis n’avait pas démontré que l’activité en question ne pouvait pas être exercée par un citoyen suisse. Le Tribunal fédéral a confirmé cette décision dans un arrêt rendu le 4 septembre 2014 (réf. 2C_772/2013).
L'accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) est applicable dans les relations entre la Suisse, la Bulgarie et la Roumanie depuis le 1er juin 2009. Une période de transition est prévue, au cours de laquelle les parties contractantes ont le droit de restreindre l'accès à leur marché du travail. Au printemps 2014, le Conseil fédéral a décidé de proroger les restrictions à l’accès au marché de travail suisse jusqu’au 31 mai 2016, pour les travailleurs salariés provenant de Bulgarie et Roumanie.
L’intéressée ne contestait pas ce régime. Elle soutenait que son activité de prostitution n’était pas une activité lucrative dépendante, mais indépendante et que par conséquent les restrictions applicables aux travailleurs salariés ne lui étaient pas applicables.
La notion d’activité dépendante est une notion qui relève du droit de l’Union européenne. Celle-ci est interprétée par le Tribunal fédéral en prenant en compte la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne, rendue avant la date de signature de l’ALCP, le 21 juin1999.
Dans sa jurisprudence, la Cour de justice a défini les trois éléments essentiels qui caractérisent la notion de d’activité dépendante (ou de travailleur salarié), à savoir l’exercice d’une prestation économique, l’existence d’un lien de subordination et une rémunération (cf. arrêt Lawrie-Blum, aff. C-66/85). En droit de l’Union européenne la prostitution peut être considérée, comme une activité dépendante ou indépendante en fonction des circonstances du cas. Selon la Cour de justice, il peut s’agir d’une activité indépendante si la personne exerce son activité en dehors de tout lien de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et que cette personne travaille sous sa propre responsabilité(cf. arrêt Jany et autres, aff. C-268/99). Le droit suisse se base sur des critères similaires d’appréciation.
Dans le cas d’espèce, l’intéressée a contesté être un travailleur salarié, au motif qu’il y avait absence de lien de subordination. Elle était libre de choisir ses conditions de travail, le nombre de clients qu’elle recevait, le temps passé avec eux ainsi que le prix de ses services. Le fait qu’elle louait une chambre dans le club et qu’elle utilisait l’infrastructure à disposition ne changeait rien, selon elle, au caractère indépendant de son activité.
Le Tribunal fédéral n’a pas suivi cette argumentation et a conclu à l’existence d’un lien de subordination entre le club et l’intéressée. Il a d’abord retenu que c’est le club qui choisissait les prostituées et qui décidait du prix de location des lieux. En outre, les prostituées étaient obligées de respecter les règles internes du club. Ainsi, le club dirigeait largement les activités des prostituées. Le Tribunal fédéral a également souligné la dépendance économique de l’intéressée par rapport au club car celle-ci ne pourrait pas assurer ses revenus de la même manière sans l’infrastructure mise à disposition par le club. Les clients entraient notamment en contact avec les prostituées par le biais du site internet du club. Le fait que l’intéressée fixait, seule, le prix de ses services n’a pas d’impact sur l’appréciation globale de la situation.
Sur la base de ces éléments, le Tribunal fédéral a jugé que la ressortissante roumaine exerçait bien une activité dépendante et ne pouvait donc pas bénéficier des droits conférés par l’ALCP.
Stefanie Schacherer « Suisse – Union européenne : une activité de prostitution constitue-t-elle une activité lucrative dépendante ou indépendante ?», www.ceje.ch, Actualité du 3 novembre 2014