Dimanche 9 février, le peuple et les cantons suisses ont approuvé l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Celle-ci, prévoit la réinstauration de plafonds et de contingents annuels, qui vont à l’encontre du principe même de libre circulation prévu dans l’accord sur la libre circulation entre la Suisse et l’Union européenne (ALCP). En cela, l’acceptation de l’initiative constitue une violation de l’ALCP, qui sera concrétisée une fois le texte de l’initiative mis en œuvre au plan suisse. Un délai de trois ans est prévu pour renégocier et adapter les accords internationaux contraires à l’initiative.
L’Union européenne a réagi au vote suisse et annonce la suspension possible de deux accords bilatéraux, celui relatif à la recherche et celui relatif à Erasmus. Il s’agit de deux accords importants et symboliques de la relation étroite développée depuis de nombreuses années entre la Suisse et l’Union, mais qui ne sont en même temps pas aussi fondamentaux que d’autres accords des relations bilatérales. Le signal politique est toutefois donné.
La Suisse doit dans ces conditions agir rapidement et contribuer activement à trouver une solution, qui prenne en compte les intérêts suisses et européens, exprimés ces derniers jours.
Fondement de la construction européenne, la libre circulation a été intégrée dans l’ALCP entre la Suisse et l’Union, mais avec une mise en place de cette liberté de manière progressive sur une période transitoire de douze ans, à compter de la date de l’entrée en vigueur dudit accord, soit le 1er juin 2002, pour les Etats membres de l’Union européenne (UE-15). La période transitoire a fait l’objet d’adaptations à chaque extension de l’ALCP aux nouveaux membres de l’UE. S’agissant de l’élargissement de l’UE de 2007, en ce qui concerne les ressortissants bulgares et roumains, la période transitoire a été prolongée jusqu’au 31 mai 2014. Elle pourra, le cas échéant, être prolongée jusqu’au 31 mai 2016. La clause de sauvegarde inscrite dans l’ALCP, déjà utilisée par le Conseil fédéral, n’est activable que pendant la période transitoire existante, qui doit s’achever ce printemps pour la plupart des Etats membres et en 2019 pour les ressortissants roumains et bulgares. L’ALCP contient un autre mécanisme de sauvegarde, permanent celui-ci, mais qui ne peut être invoqué pour justifier des restrictions à la libre circulation des personnes que si le pays concerné se trouve dans une situation économique difficile – ce qui est loin d’être le cas de la Suisse.
Ceci étant, le vote du 9 février démontre clairement que pour les Suisses la libre circulation entre la Suisse et l’Union européenne a été trop rapide. Elle a en tous les cas été perçue ainsi et la conséquence ne s’est pas fait attendre dans l’expression de la volonté de contrôler les flux migratoires. Dans ces circonstances, quelles sont les possibilités envisageables en vue de concilier les intérêts en présence ?
L’idée de fixer des contingents élevés pour résoudre la quadrature du cercle nous paraît doublement artificielle. Même s’ils sont élevés, des contingents instaurés « de manière permanente » restent inconciliables avec le principe de libre circulation. Et même s’ils devaient permettre d’aboutir à une sorte de statu quo dans les flux migratoires, ils seraient difficiles à accepter politiquement par l’UDC.
Une autre piste mérite d’être exploitée. La Suisse pourrait plaider la réintroduction de dérogations permettant de fixer des contingents, pendant une période transitoire à définir avec l’UE. Cette approche permettrait à la Suisse de continuer à soutenir le principe de libre circulation, qui est au cœur du marché intérieur de l’UE, et auquel l’Union n’est pas prête de renoncer. Elle permettrait également de prendre en compte les intérêts suisses en prévoyant la mise en place de mesures restrictives. Cette piste constituerait un véritable compromis politique, dans l’attente d’une solution définitive entre les partenaires.
Cette approche de « nouvelle période de transition en matière de libre circulation » permettrait aussi la prise en compte de la situation sensible que connaissent plusieurs Etats membres de l’Union européenne sur le front de la libre circulation. Ceux-ci pourraient, le cas échéant, aussi plaider, pour leur compte, la réintroduction d’une période transitoire dans les relations intra-UE. La période transitoire, prévue dans le traité d’adhésion de 2007, relative à la libre circulation des ressortissants bulgares et roumains étant arrivée à échéance le 31 décembre 2013, a aussi créé des difficultés importantes pour certains Etats membres, comme le Royaume-Uni et l’Espagne pour ne citer que ceux-ci. Cette proposition de l’introduction d’une nouvelle période transitoire dans les relations CH-UE et dans les relations intra-EU pourrait ainsi répondre aux soucis exprimés de part et d’autre.
La Commission européenne s’y opposera certainement, car c’est son rôle en tant que gardienne des traités. La Suisse pourrait toutefois trouver des appuis auprès de certains Etats membres. Un tel système n’est toutefois pensable que s’il est limité dans le temps, peut-être deux, trois ou quatre ans, avec la possibilité d’un réexamen de la situation à la fin de la période transitoire, qui sera fixée d’un commun accord entre la Suisse et l’Union européenne. Une telle négociation ne nous paraît pas dénuée de chance de succès, à condition de trouver dans un premier temps l’accord de principe des auteurs de l’initiative.
Christine Kaddous, "Suisse – UE : plaider pour de nouvelles périodes transitoires en matière de libre circulation des personnes", www.unige.ch/ceje, Actualité du 12 février 2014