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La décision du Bundesrat allemand concernant l’accord fiscal germano-suisse (Rubik)

Marine Stücklin , 28 novembre 2012

La Chambre des représentants des Länder allemands (Bundesrat) s’est prononcée en défaveur de l’accord fiscal entre l'Allemagne et la Suisse, conclu le 21 septembre 2011 et qui avait été ratifié par la Suisse. Bien que la Diète fédérale allemande (le Bundestag) avait déjà accepté l’accord bilatéral en octobre dernier, l'entrée en vigueur dépendait encore de son approbation par le Bundesrat.

Pendant plusieurs années, de nombreux citoyens allemands ont dissimulé leur fortune en Suisse afin de la soustraire au fisc allemand, ce qui a été la cause de nombreux différends entre la Suisse et l'Allemagne. Les désaccords sont arrivés à leur apogée en 2010, lors de l’acquisition par le fisc allemand au Crédit Suisse de CDs contenant des informations dérobées, ceci dans le but de poursuivre les fraudeurs allemands. La légalité de cette démarche fut largement contestée. Toutefois, la Cour constitutionnelle allemande, dans une décision du 9 novembre 2010, jugea que l'achat des CDs était légal en vertu du droit international public et que les données étaient ainsi recevables dans les procédures engagées contre les fraudeurs fiscaux (2 BvR 2101/09).

Cet accord fiscal, qui a été négocié en janvier 2011, vise à empêcher l’évasion fiscale vers la Suisse, à assurer une taxation identique par les banques suisses des revenus sur le capital que celle opérée en Allemagne en vue de prévenir une altération de la concurrence fiscale entre les places financières des deux Etats. Il contient par ailleurs des règles sur l’imposition des investissements futurs en Suisse et prévoit également une application rétroactive de la taxation. Le 5 avril 2012, le traité a été modifié par un protocole complémentaire portant sur l’augmentation des taux d'imposition minimum et maximum ainsi que sur une réglementation, entre autres, des héritages et du nombre de demandes admissibles par les autorités allemandes.

L’accord en question prévoit plusieurs alternatives pour la taxation des fortunes investies en Suisse par le passé pour la période 2002-2012. En principe, un impôt forfaitaire prélevé par la banque ou l’administrateur de biens suisse concerné, éteint la dette fiscale de l'investisseur envers l'Allemagne. Ainsi, ce dernier est dépénalisé pour ses délits de fraude fiscale passée, condamnée sinon par le paragraphe 370 de l’Abgabenordnung allemand (AO), sans être toutefois obligé de révéler son identité. Un taux d'imposition de 21 à 41% est à appliquer aux actifs, en fonction de la durée et de l’ampleur du compte à une date valeur fixée au 31 décembre 2010. L’impunité qui fait suite à ce paiement forfaitaire ne concerne bien entendu que les actifs déposés dans les banques suisses.Par ailleurs, les contribuables allemands se voient offrir deux possibilités supplémentaires pour organiser leur imposition ultérieure. D’un côté, les investisseurs peuvent remplir un formulaire d’auto-dénonciation ayant pour effet de les innocenter universellement pour toute évasion fiscale passée en vertu du paragraphe 371 AO. D’un autre côté, il leur est possible de se manifester volontairement aux autorités fiscales allemandes. Du fait de cette autorisation, chaque banque suisse est tenue de révéler toutes les relations bancaires relatives au client et à ses biens. Cette déclaration volontaire a les mêmes effets qu'une auto-dénonciation à décharge.

Pour les investissements faits à partir de son entrée en vigueur, l’accord fiscal prévoit uneimposition à la source sur les revenus financiers uniformes de 26.375%. En payant cette taxe, les investisseurs assujettis au paiement de l’impôt en Allemagne sont libérés de toute dette fiscale concernant leurs biens en Suisse. Les banques suisses peuvent toutefois offrir à leur clientèle allemande la possibilité d'opter pour une déclaration volontaire, mais n’y sont pas obligées.

Afin de garantir une application effective de l’accord, les autorités allemandes ont le droit d'être informées sur demande. Ces demandes de renseignements faites aux autorités suisses sont néanmoins limitées à 1300 pour deux ans. En outre, la date valeur fixée au 31 décembre 2010 pour l'évaluation rétrospective des actifs, rend plus difficile aux débiteurs fiscaux le contournement de leurs obligations fiscales découlant de l’accord. Toutefois, si un investisseur a mis un terme définitif à ses relations bancaires en Suisse avant cette date, les dispositions de l’accord bilatéral ne lui seront pas applicables. Par ailleurs, la loi fédérale suisse sur l’imposition internationale à la source prévoit comme mesure complémentaire à l’accord bilatéral, de sanctionner les banques et banquiers suisses dérogeant aux obligations qui leurs incombent en vertu de l’accord fiscal. Enfin, l'Allemagne a la possibilité de faire des demandes groupées d’après le standard de l'OCDE afin d’obtenir des informations anonymes sur le comportement typique des fraudeurs.

L’accord bilatéral germano-suisse a été refusé au Bundesrat par les Länder gouvernés par les Partis verts et les sociaux-démocrates. Leur refus est motivé par l’impôt forfaitaire pour le futur considéré comme trop bas à leur goût, sur le faible nombre de demandes admissibles pour deux ans et sur l’impunité accordée automatiquement pour le passé. Ils critiquent également le fait que l’accord permettant aux débiteurs fiscaux d’échapper à l’imposition en mettant fin à leurs relations avec les banques suisses avant le 31 décembre 2012 ainsi que l’interdiction faite à l’Allemagne d’acheter des informations sur les fraudeurs fiscaux allemands. La Suisse a précisé d’ores et déjà que l’accord dans sa forme actuelle n'est plus négociable. En particulier, l'anonymat de la taxation rétroactive est indispensable au regard du droit suisse en raison du fait que le secret bancaire est protégé par le code pénal. Le non-respect de ce principe ne serait donc pas compatible avec les exigences constitutionnelles.

Si une chance subsiste encore afin de faire passer l’accord, elle se trouve entre les mains de la Commission de médiation allemande, dont la fonction est de trancher les désaccords entre les deux Chambres.

Il convient enfin de noter que des accords similaires ont été conclus par la Suisse avec la Grande-Bretagne et l’Autriche et qu’ils entreront en vigueur au 1er janvier 2013.


Reproduction autorisée avec l’indication: Selma Gather et Marine Stücklin, "La décision du Bundesrat allemand concernant l'accord fiscal germano-suisse (Rubik)", www.ceje.ch, actualité du 28 novembre 2012.