Le Conseil fédéral devra décider demain ou dans les semaines à venir s’il entend limiter le nombre de ressortissants des Etats membres de l’Union européenne qui pourront venir en Suisse pour y travailler. L’Accord bilatéral sur la libre circulation des personnes de 1999 (ALCP), dont le maintien a été voté par le peuple suisse le 8 février dernier, prévoit en effet une clause de sauvegarde qui permet à la Suisse de limiter pendant deux ans le nombre de nouveaux titres de séjour octroyés aux travailleurs salariés et indépendants ressortissants des Etats membres de l’Union européenne. Une telle limitation est autorisée lorsque, pendant une année donnée, le nombre de nouveaux titres de séjour octroyés à ces travailleurs est supérieur à la moyenne des trois années précédente de plus de 10% (voir l’article 10 § 4 de l’ALCP). Selon le Secrétariat d’Etat à l’économie, ces conditions sont réalisées en 2009. Il est dès lors envisageable que le Conseil fédéral fasse valoir cette clause de sauvegarde, bien qu’il n’ait jamais fait usage d’une telle option jusqu’à présent.
Si le Conseil fédéral recourt à la clause de sauvegarde, il pourra limiter pendant deux ans le nombre de nouveaux titres de séjour pour les travailleurs salariés et indépendants de l’Union européenne à la moyenne des trois années précédentes plus 5% (le nombre de nouveaux titres de séjour ne peut cependant pas être limité à moins de 15’000 par année pour les nouveaux titres de séjour d’une durée égale ou supérieure à une année et à 115’500 par année pour les titres de séjour d’une durée supérieure à quatre mois et inférieure à une année).
L’adoption de cette clause de sauvegarde aurait un impact important sur la migration des ressortissants des 15 premiers Etats membres (ainsi que Chypre et Malte) qui, depuis le 1er juin 2007, sont libres de venir en Suisse pour y chercher un emploi sans être soumis à aucun contingent, ni priorité nationale (voir article 10 § 1 de l’ALCP).
En revanche, s’agissant des ressortissants des 8 Etats d’Europe centrale membres de l’Union européenne depuis l’élargissement de 2004, l’adoption de cette clause de sauvegarde ne changerait rien à leur situation juridique. La libre circulation de ces ressortissants est en effet actuellement encore soumise à des mesures transitoires en vertu du protocole additionnel à l’ALCP de 2004, notamment à la priorité des travailleurs indigènes et aux contingents sur les permis (voir l’article 10 § 1a et 2a de l’ALCP et la décision de prorogation des mesures transitoires adoptée par la Suisse le 29 mai 2007). Ces mesures transitoires se terminent en principe le 31 mai 2009 mais peuvent être maintenues jusqu’au 30 avril 2011, au moyen d’une notification au Comité mixte, en cas de perturbations graves ou de menace de perturbations graves du marché de l’emploi en Suisse (voir l’article 10 § 4a de l’ALCP).
Il faut toutefois remarquer que si le Conseil fédéral décidait d’adopter la clause de sauvegarde mais renonçait au maintien des mesures transitoires jusqu’en 2011, les ressortissants des 8 nouveaux Etats membres se trouveraient dans une situation plus avantageuse qu’à l’heure actuelle. En effet, ils ne seraient plus soumis à la condition de la priorité des travailleurs indigènes mais uniquement à celle des contingents. En outre, si le Conseil fédéral renonçait aux deux limitations, les ressortissants estoniens, hongrois, lettons, lituanien, polonais, slovènes, slovaques et tchèques pourraient alors bénéficier d’un libre accès au marché du travail suisse dès le 1er juin 2009.
Enfin, l’adoption d’une clause de sauvegarde ne changera pas les droits des ressortissants bulgares et roumains entrés en 2007 dans l’Union européenne car ils sont de toute façon soumis à des mesures transitoires (priorité indigène, contingents et contrôles) dès le 1er juin 2009 pendant deux ans minimum en vertu du Protocole II à l’ALCP de 2008 (voir l’article 1b).
Le Conseil fédéral doit donc faire un choix difficile en cette période de crise. La presse laisse penser qu’il adopterait la clause de sauvegarde en invoquant les statistiques récentes du marché du travail et de la migration. Cette décision présenterait une dimension politique qui ne manquerait pas de susciter la polémique, d’autant plus qu’elle limiterait la libre circulation des ressortissants des « anciens » Etats membres. Il faudrait donc s’attendre à une réaction vive de l’Union européenne face à un tel manque de solidarité. En revanche, si le Conseil fédéral devait uniquement décider de maintenir les mesures provisoires applicables aux ressortissants des 8 nouveaux Etats membres jusqu’en 2011, son approche, bien que contestée par la Commission, irait dans le même sens que les décisions prises récemment par l’Allemagne et l’Autriche au sein de l’UE.
Voir également :
Büler Stefan/Häfliger Markus, Letzte Chance für Kontrolle der EU-Zuwanderung, NZZ du 11 mai 2009
Willis Andrew, Switzerland looks set to limit EU migrants, Euobserver du 11 mai 2009
Reproduction autorisée avec indication : Silvia Gastaldi, "La Suisse décidera-t-elle de limiter l’immigration des citoyens de l’UE ?", www.ceje.ch, actualité du 12 mai 2009.