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La Suisse et l’Union européenne : une voie bilatérale dense et complexe

Diane Grisel , 27 novembre 2007

La Suisse a choisi d’entretenir avec l’Union européenne des relations bilatérales sectorielles qui sont aménagées dans une vingtaine d’accords principaux et une centaine d’accords secondaires. Ce réseau d’accords bilatéraux est appelé, afin de répondre aux intérêts des deux parties, à s’adapter et à s’étendre, au terme souvent d’âpres négociations. De nombreux dossiers, complexes, sont actuellement en discussion entre la Suisse et l’Union, comme l’illustrent les quelques exemples mentionnés ci-dessous.

L’accord de libre-échange de 1972 et le « différend fiscal »

Dans une décision rendue le 13 février 2007, la Commission considère que les régimes fiscaux cantonaux applicables aux sociétés d’administration, aux sociétés mixtes et aux sociétés holding constituent des aides d’Etat qui faussent la concurrence et entravent les échanges de marchandises dans une mesure incompatible avec l’accord de libre-échange conclu avec la Suisse en 1972. Les services de la Commission s’étaient déjà manifestés à ce sujet en 2005 et des discussions avaient été engagées lors des réunions du comité mixte chargé de veiller au bon fonctionnement de cet accord. La position de la Suisse s’articule autour de trois axes principaux : premièrement, elle affirme que les modalités d’imposition contestées en l’espèce ne tombent pas dans le champ d’application de l’accord de 1972, qui concerne exclusivement le commerce de certaines marchandises. Deuxièmement, quand bien même l’accord était applicable, les mesures fiscales litigieuses ne constitueraient pas des aides d’Etat inadmissibles car elles ne sont pas sélectives et n’entravent pas les échanges entre la Suisse et l’Union. Troisièmement, la Suisse souligne que sa non appartenance au marché intérieur européen rend inapplicables les règles - notamment de concurrence - qui régissent le marché intérieur de l’Union. Une violation de l’accord de 1972 est certes invoquée par la Commission, cette dernière n’a toutefois pas engagé la procédure prévue par l’accord en cas de non respect de ses dispositions mais vise plutôt à négocier un nouvel accord avec la Suisse. Le Conseil de l’Union a en effet approuvé, le 14 mai 2007, un mandat de « négociations » donné à la Commission afin de permettre « la modification de certains régimes fiscaux pour les entreprises qui sont appliqués par les cantons suisses et prévoient un traitement préférentiel pour les revenus de capitaux étrangers ». La Suisse de son côté bannit le terme de négociations, puisqu’il n’y a rien à négocier, et évoque l’existence d’un « dialogue » avec l’Union à ce sujet. Ainsi, comme le souligne le Conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, d’éventuelles modifications du régime fiscal suisse interviendront « de manière autonome et non sous la pression de l’Union ». De nature « purement technique », ce dialogue entre la Suisse et l’Union a été inauguré le 12 novembre 2007 à Berne, lors d’un entretien où les parties ont présenté leurs points de vue. Quelques jours auparavant, le Conseil fédéral rendait un rapport en réponse à un postulat de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats sur les aides d’Etat aux entreprises, dans lequel il conclut que le principe d’interdiction de tout aide d’Etat ancré dans le Traité CE connaît de nombreuses exceptions et que le code de conduite pour l’imposition des entreprises a restreint la marge de manœuvre des Etats membres dans le domaine fiscal. Contrairement à l’Union, la Suisse privilégie les conditions-cadres économiques, notamment une appréciation positive de la concurrence fiscale, et se montre moins favorable que l’Union aux aides d’Etat directes. Le « différend fiscal » a également été abordé, à la demande de l’Union, lors de la séance du comité mixte de l’accord de 1972 tenue le 15 novembre 2007 à Berne. La Suisse a cependant maintenu que les discussions à ce sujet devaient se dérouler dans un forum séparé, l’accord n’étant pas applicable au différend. Lors de cette réunion du comité mixte, la question de la « règle des 24 heures » a également été débattue. Cette règle exige que toutes les marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté soient déclarées préalablement à leur arrivée aux frontières des Etats membres, et ce dans un délai variant entre vingt-quatre heures pour le transport maritime et une heure pour le transport routier. Compte tenu des relations étroites qu’entretiennent la Suisse et l’Union (les échanges commerciaux entre les deux parties se sont encore accrus de 12% entre janvier et septembre 2007 par rapport à la même période de l’année dernière ; l’Union représente toujours plus clairement le premier partenaire commercial de la Suisse), un accord sur une reconnaissance mutuelle de l’équivalence des standards de sécurité, permettant d’échapper à cette règle, devrait intervenir à l’issue des négociations en cours.

Les Bilatérales I

Signées en 1999, les « Bilatérales I » sont composées de sept accords portant sur la libre circulation des personnes (ALCP), les transports terrestres, le transport aérien, l’agriculture, la recherche, les obstacles techniques au commerce et les marchés publics. Alors que les autres accords bilatéraux sont automatiquement étendus aux nouveaux Etats membres de l’Union, l’ALCP ne s’appliquera à la Bulgarie et à la Roumanie qu’une fois en vigueur un protocole à l’accord contenant un régime transitoire adéquat. La troisième session de négociations à ce sujet entre la Suisse et l’Union s’est tenue le 7 novembre 2007 à Berne. Si l’arrêté d’approbation de ce protocole, qui sera soumis au référendum facultatif, venait à être refusé par le peuple suisse, l’ensemble des « Bilatérales I » cesseraient d’être applicables (article 25, paragraphe 4 de l’ALCP, qui instaure la clause « guillotine »). Toujours dans le cadre de l’ALCP, il est actuellement débattu de la reprise, par la Suisse, de la directive 2005/36 sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. La Suisse en effet s’est engagée à appliquer les règles communautaires énoncées dans l’annexe III de l’ALCP, à savoir les règles communautaires relatives à la reconnaissance des qualifications en vigueur en 1999. Cette annexe devrait être modifiée afin d’intégrer la nouvelle directive 2005/36 qui modernise l’ensemble du système de reconnaissance des diplômes en regroupant les directives existantes et en assurant, notamment, une libéralisation accrue des prestations de services. Une non reprise de cette directive par la Suisse occasionnerait des complications préjudiciables aux Suisses désireux d’exercer leurs activités professionnelles dans l’Union.

Les Bilatérales II

L’accord d’association de la Suisse à l’acquis Schengen, qui a été signé en 2004 dans le cadre de la série d’accords constituant les Bilatérales II a été approuvé par le peuple suisse en 2005. Il n’est toutefois pas encore en vigueur car la procédure de ratification du côté européen n’est toujours pas achevée. Quatre Etats membres en effet (la Belgique, la République tchèque, la Grèce et la Hongrie) ont déclaré, conformément à l’article 24, paragraphe 5, du TUE, en liaison avec son article 38, que l’accord ne les lierait que lorsqu’ils se seraient conformés à leurs propres règles constitutionnelles. Concrètement, cela signifie que l’accord ne pourra entrer en force qu’une fois que les procédures constitutionnelles internes à ces pays auront été satisfaites et les réserves levées. De plus, l’application effective de l’accord ne se produira qu’une fois que le Conseil de l’Union aura rendu une décision constatant que la Suisse remplit les conditions nécessaires pour participer à la coopération mise en place par Schengen (article 15 de l’accord). Certaines dispositions de l’accord sont toutefois d’ores et déjà applicables à titre provisoire et les procédures de reprise en droit suisse des développements de l’acquis Schengen sont en cours. Outre l’accord sur Schengen et Dublin, les « Bilatérales II » comprennent également des accords dans les domaines suivants : la fiscalité de l’épargne, les produits agricoles transformés, l’encouragement à la production et à la distribution de films européens (« accord MEDIA »), l’environnement, la statistique, la lutte contre la fraude, les pensions, l’éducation et la formation professionnelle. Le renouvellement de l’accord MEDIA, nécessaire pour que la Suisse puisse participer au programme d’encouragement de soutien au cinéma « MEDIA 2007 », a été signé le 11 octobre 2007 et sera soumis au Parlement pour approbation définitive en décembre 2007. La participation de la Suisse au programme « MEDIA 2007 » requiert le respect, dans un délai de deux ans, du principe de la liberté de réception et de retransmission sur le territoire suisse des émissions de télévision relevant de la compétence d’un Etat membre de la Communauté, conformément à la directive communautaire « Télévision sans frontières » (cf. article 1 de l’annexe 1 de l’accord). Ainsi, les fenêtres publicitaires à caractère politique notamment doivent être soumises exclusivement au droit du pays d’origine de la chaîne qui les produit. Une adaptation de la loi fédérale sur la radio-télévision est dès lors nécessaire.

Les accords futurs

De nombreux nouveaux dossiers sont sur la table des négociations entre la Suisse et l’Union (la collaboration de la Suisse avec l’autorité judiciaire européenne Eurojust ; sa participation au projet Galileo ; une coopération en matière de santé publique, en particulier dans le domaine de la protection des consommateurs et des maladies transmissibles ainsi que dans des thèmes de santé d’intérêt général ; un accord de libre-échange dans le domaine de l’agroalimentaire). Dans le dossier sur l’électricité, une première réunion s’est tenue le 8 novembre 2007 à Bruxelles, l’objectif principal des deux parties étant de garantir l’approvisionnement des marchés dans un contexte de libéralisation. En matière de coopération avec l’Europe de l’Est, la conférence annuelle avec ces pays s’est déroulée le 15 novembre 2007. Des accords-cadres ont été négociés avec les dix nouveaux Etats membres sur l’utilisation du « milliard de cohésion », accepté par le peuple suisse le 26 novembre 2006, et devraient être conclus avant la fin de l’année.


Reproduction autorisée avec indication : Diane Grisel, "La Suisse et l’Union européenne : une voie bilatérale dense et complexe", www.ceje.ch, actualité du 27 novembre 2007.