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Pouvoir de retrait par la Commission européenne d’une proposition législative

Relwende Louis Martial Zongo , 16 avril 2015

Conformément à l’article 17, paragraphe 2, du traité UE, la Commission européenne dispose du quasi-monopole d’initiative en matière d’actes législatifs. Mais, si le pouvoir d’initiative législative de la Commission est expressément prévu en droit de l’UE, il n’en est pas de même de son pouvoir de retrait des propositions législatives. Présent seulement dans la pratique de l’institution, le retrait d’une proposition législative  par la Commission laissait ainsi subsister des doutes sur son fondement juridique mais aussi sur les règles censées l’encadrer. L’arrêt Conseil c. Commission (aff. C-409/13) du 14 avril 2015 a été l’occasion pour la Cour de justice de l’Union d’apporter des précisions sur les possibilités de ce retrait.

Dans le cadre de ses relations avec les pays tiers, l’Union accorde à certains pays une assistance financière de nature macroéconomique en vue de rétablir l’équilibre de leurs balances de paiement en cas de difficultés conjoncturelles. Afin d’améliorer l’efficacité de cet instrument spécifique d’aide financière, la Commission a présenté, le 4 juillet 2011, une proposition de règlement du Parlement et du Conseil fondée sur la base des articles 209 et 212 du traité FUE et visant à établir des dispositions générales relatives à l’assistance macrofinancière (ci-après AMF) aux pays tiers. Cette proposition de règlement-cadre comportait un certain nombre de dispositions parmi lesquelles un article 7 relatif à la procédure d’octroi d’une AMF. Cette disposition conférait à la Commission européenne des compétences d’exécution en matière d’octroi d’AMF. Compte tenu des divergences relatives à la procédure d’octroi d’AMF, la proposition de la Commission a donné lieu à une série de négociations interinstitutionnelles qui ont conduit à un accord de principe entre le Parlement et le Conseil pour le remplacement de la compétence d’exécution de la Commission par la procédure législative ordinaire aux fins de l’adoption des décisions d’octroi d’AMF. Dans une lettre adressée aux présidents de ces deux institutions, le vice-président de la Commission a fait part de la décision de son institution de retirer sa proposition de règlement conformément à l’article 293, paragraphe 2, du traité FUE. Devant la Cour de justice, le Conseil demande l’annulation de cette décision en faisant valoir la violation des principes d’attribution de compétence et d’équilibre institutionnel, la violation du principe de coopération loyale et la méconnaissance de l’obligation de motivation prévue à l’article 296, alinéa 2, du traité FUE. Dans sa décision, la Cour rejette l’ensemble de ces moyens par un raisonnement procédant par plusieurs étapes.

Dans la première étape de son raisonnement, la Cour de justice se prononce sur le moyen tiré de l’atteinte aux principes d’attribution de compétence et d’équilibre institutionnel. Pour le Conseil, en retirant la proposition de règlement-cadre par la décision attaquée, la Commission a outrepassé ses compétences dans la mesure où les traités ne lui confèrent pas le pouvoir de retirer une proposition d’acte législatif dans des circonstances telles que celles de l’espèce. Dans l’analyse de ce moyen, la Cour de justice procède à une interprétation systémique des articles 17, paragraphe 2, du traité UE, 289 et 293 du traité FUE. Considérant d’une part, l’article 17, paragraphe 2, du traité UE et l’article 289 du traité FUE, lesquels consacrent le pouvoir largement discrétionnaire de la Commission en matière d’initiative législative et d’autre part, les garanties de ce pouvoir prévues à l’article 293 du traité FUE, la Cour souligne que : «  De même qu’il revient en principe à la Commission de décider de présenter ou non une proposition législative et, le cas échéant, d’en déterminer le contenu, l’objet, la finalité et le contenu, la Commission a, aussi longtemps que le Conseil n’a pas statué, le pouvoir de modifier sa proposition, voire, au besoin, de la retirer ». Elle ajoute toutefois que l’exercice de ce pouvoir ne saurait lui conférer « un droit de veto » dans la processus législatif, d’où l’obligation pour la Commission, lorsqu’elle entend exercer ce droit, de le motiver à suffisance de droit par des « éléments convaincants » afin de permettre à la Cour de justice d’exercer son contrôle juridictionnel en cas de recours en annulation contre une telle décision.

Dans la deuxième  étape de son analyse, la Cour de justice se base sur l’arrêt Delacre (aff. C-350/88) pour affirmer qu’un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu des intéressés. Á cet égard, la Cour considère non seulement l’article 293, paragraphe 2, du traité FUE visé dans la lettre du vice-président de la Commission mais aussi le fait que suite aux divergences de vues exprimées lors des rencontres institutionnelles, la Commission avait déclaré qu’elle pourrait envisager de retirer sa proposition au motif que la modification envisagée par le Parlement et le Conseil dénaturait cette dernière au point de la priver de sa raison d’être dans un sens contraire aux objectifs initialement poursuivis. La Cour en déduit que les motifs de la décision attaquée ont été portés à suffisance de droit à la connaissance du Parlement et du Conseil. Elle considère en outre qu’il s’agit de motifs convaincants pouvant justifier l’exercice par la Commission de son pouvoir de retrait. Elle admet cependant que l’exercice de ce droit ne saurait méconnaître non plus le principe de coopération loyale interinstitutionnelle inscrit à l’article 13, paragraphe 2, du traité UE.

Dans la dernière étape de son raisonnement, la Cour de justice vérifie  si les objectifs poursuivis par la proposition de la Commission étayent les motifs relevés au soutien de son retrait. Elle s’intéresse ensuite à savoir si l’exercice de ce pouvoir de retrait a respecté l’esprit de coopération loyale interinstitutionnelle prévue par le traité. Sur le premier point, la Cour de justice constate à partir de l’examen des considérants de la proposition législative, qu’en substituant au paragraphe 2 de l’article 7 la procédure législative ordinaire à la compétence d’exécution de la Commission, la modification envisagée par le Parlement et le Conseil dénaturait effectivement un élément essentiel de la proposition de règlement d’une manière contraire à l’objectif d’efficacité et de célérité de la procédure d’octroi qui était poursuivi. Aussi, une telle modification était contraire à l’objectif d’aligner la procédure d’octroi de l’AMF sur la procédure applicable aux autres instruments financiers de l’Union en matière d’aide extérieure. Sur le second point relatif au respect de l’esprit du principe de coopération loyale, la Cour de justice en se basant sur les différentes pièces fournies au dossier, affirme que la Commission n’a pas exclu toute discussion au sujet de la procédure d’octroi de l’AMF contrairement à l’allégation d’un certain nombre d’Etats étant intervenus dans la procédure. La Commission aurait au contraire tenté de parvenir à une solution de compromis qui tout en préservant les objectifs recherchés visait à prendre en compte les préoccupations du Parlement et du Conseil.

Compte tenu de ces éléments, la Cour de justice conclut que l’exercice par la Commission de son pouvoir de retrait de la proposition de règlement relatif à l’AMF n’a contrevenu ni aux principes d’attribution de compétence et d’équilibre institutionnel, ni à l’obligation de motivation prévue à l’article 296 du traité FUE, encore moins au principe de coopération loyale défini à l’article 13, paragraphe 2, du traité UE.


Martial Zongo, "Pouvoir de retrait par la Commission européenne d'une proposition législative", actualité du 16 avril 2014, http://www.ceje.ch/.