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Précisions sur les limites au droit d’accès aux documents des institutions liés à une mission en Croatie

Mihaela Nicola , 5 décembre 2013

Le règlement no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, vise à conférer le plus large effet possible au droit d'accès du public aux documents concernant les activités couvertes par le droit de l’Union européenne, tout en garantissant la protection de certains intérêts par le biais des exceptions prévues à son article 4. L’arrêt du 28 novembre 2013 a donné l’occasion  à la Cour de justice d’analyser le régime de ces exceptions ainsi que les liens existants entre l’article 4 et l’article 9 du même règlement.   

En 2009, M. Jurašinović, ressortissant français, a demandé au secrétaire général du Conseil de l’Union européenne l’accès aux rapports établis par des observateurs de la Communauté européenne dans le cadre d’une mission de surveillance en Croatie « ECMM », dans la zone de Knin, du 1er au 31 août 1995 et à des documents référencés « ECMM RC Knin Log reports », en se fondant sur les dispositions pertinentes du règlement n° 1049/2001. Sa demande a été rejetée pour la plupart des documents demandés en application des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, de ce règlement, visant la protection de l’intérêt public concernant les relations internationales ainsi que la sécurité publique. A cet égard, le secrétaire général du Conseil a notamment invoqué que les documents demandés étaient de nature à créer de nouvelles difficultés, en cas de divulgation, dans les relations de l’Union avec les différentes parties aux conflits qui s’étaient déroulés dans l’ex-Yougoslavie et portaient atteinte à la sécurité et l’intégrité physique des observateurs, des témoins et d’autres sources d’information impliquée dans ladite mission.

Saisi d’un recours tendant à l’annulation de la décision du secrétaire général du Conseil, le Tribunal a rejeté  les trois moyens invoqués par M. Jurašinović. Il a premièrement considéré que la neutralité des rapports, telle qu’elle était invoquée par le requérant, en raison du fait que l’ECMM n’était pas une partie au conflit dans l’ex-Yougoslavie, n’avait aucune incidence sur l’appréciation du caractère attentatoire de la divulgation des rapports visés par la demande d’accès à l’intérêt public lié à la préservation des relations internationales. Deuxièmement, le Tribunal a relevé que la circonstance que les rapports en cause n’avaient pas préalablement été qualifiés de « sensibles »  au sens de l’article 9 du règlement n° 1049/2001, ne pouvait pas faire obstacle au refus opposé par l’institution concernée à l’accès à ces rapports en raison du risque d’atteinte à la protection de l’intérêt public, dans l’hypothèse où les documents sollicités auraient contenu des éléments sensibles. Enfin, il a rejeté les prétentions du requérant à l’existence d’un droit à la divulgation des rapports concernés fondé sur le fait que ces rapports avaient déjà été divulgués par le Conseil au ministère public du TPIY et à la défense dans l’affaire Gotovina et consorts, dans la mesure où le requérant n’avait pas fait la preuve que cette communication avait été faite à la suite d’une demande d’accès présentée sur le fondement du règlement n° 1049/2001, et non pas au titre de la promotion de la coopération internationale, tel qu’il était soutenu par le Conseil.

Dans le cadre du pourvoi introduit à l’encontre de l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice constate d’abord que ce dernier n’a pas enfreint le droit du requérant à un procès équitable, dans la mesure où il avait statué sans avoir préalablement procédé à la consultation et à l’examen des documents dont la divulgation avait été refusée par le secrétaire général du Conseil. Sur ce point, la Cour de justice souligne qu’aucune règle de procédure n’impose au Tribunal une telle obligation et que la légalité d’une décision refusant l’accès à des documents doit en principe être appréciée au regard « des motifs sur le fondement desquels elle a été adoptée, plutôt que du seul contenu des documents sollicités ». Comme la Cour de justice le souligne, c’est seulement dans le cas où le requérant contesterait l’application de l’une des exceptions invoquées par une institution à l’appui de sa décision de refus d’une demande d’accès à un document, que le Tribunal est tenu d’ordonner la production de ce document et d’examiner celui-ci, dans le respect de la protection juridictionnelle dudit requérant. Or, dans le cas d’espèce, M. Jurašinović s’est borné à contester le bien-fondé des arguments avancés par le Conseil dans la décision litigieuse, sans mettre en cause les exceptions invoquées par celui-ci au titre de l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement n° 1049/2001. Dans cette mesure, le Tribunal n’était pas tenu d’ordonner la production des documents demandés afin de statuer sur le recours en annulation.

En deuxième lieu, la Cour de justice examine les rapports qui existent entre l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001 et l’article 9, paragraphe 1, de celui-ci, afin de déterminer s’il est possible pour une institution d’invoquer l’une des exceptions au droit d'accès du public à un document au regard de la première disposition, alors que ledit document n’a pas été qualifié de « sensible », au sens de la deuxième disposition. Selon la Cour de justice, l’absence d’une telle qualification ne saurait exclure l’application des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001, dans la mesure où le risque d’une atteinte aux intérêts protégés par cette disposition est « raisonnablement prévisible et non purement hypothétique » (arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C-506/08 P). Dès lors, le Tribunal a jugé à bon droit que le Conseil pouvait se prévaloir des exceptions prévues par ledit article pour refuser l’accès aux rapports sans les avoir préalablement classifiés « TRES SECRET/TOP SECRET », « SECRET » ou « CONFIDENTIEL », conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n°1049/2001.

La Cour de justice confirme également l’arrêt du Tribunal, en considérant que M. Jurašinović n’est pas parvenu à démontrer que la défense de M. Gotovina et le ministère public du TPIY ont obtenu l’accès aux rapports sur le fondement du règlement n° 1049/2001. Dans ce contexte, elle souligne que la lettre invoquée par M. Jurašinović, par laquelle M. Gotovina ou ses conseils auraient sollicité du Conseil l’accès auxdits rapports, n’a pas été produite dans l’affaire ayant donné à l’arrêt attaqué. L’argument du requérant selon lequel la même lettre aurait été déposée dans le cadre de l’affaire T-63/10 ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil, qui opposait les mêmes parties devant la même formation de jugement, est, selon la Cour de justice, dépourvu de pertinence, dans la mesure où le Tribunal ne saurait apprécier le bien-fondé d’un moyen de recours sur la base d’éléments de preuve qui n’ont pas été déposés conformément aux règles de procédure applicables. Ainsi, la Cour de justice considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit, en refusant de prendre en considération ladite lettre et le pourvoi de M. Jurašinović est rejeté.


Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, "Précisions sur les limites au droit d’accès aux documents des institutions liés à une mission en Croatie", www.ceje.ch, actualité du 5 décembre 2013.