L’importance du respect des droits de la défense dans le droit international privé de l’Union européenne fait l’objet de l’arrêt G., rendu par la Cour de justice le 15 mars 2012 (aff. C-292/10).
Mme G., ressortissante allemande, a saisi le juge allemand d’une action contre un propriétaire d’un nom de domaine qui a publié des photos de la requérante sur son site internet, sans l’accord préalable de celle-ci. Les informations légales sur ce site indiquent comme adresse postale du défendeur un domicile aux Pays-Bas. Or, les autorités compétentes ont confirmé qu’il ne figure dans aucun registre néerlandais. En l’absence d’indices concluants sur la résidence du défendeur, l’acte introductif d’instance a été rendu public au moyen d’affichage d’un avis, conformément au code de procédure civile allemand. Cet acte indiquait le délai pendant lequel le défendeur devait faire connaître s’il est disposé à se défendre. Il n’a pas réagi. En l’absence de moyens permettant de connaître avec certitude le domicile de ce dernier, la juridiction allemande a considéré qu’il y a violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux dans la mesure où les parties au litige seraient ainsi privées d’un recours juridictionnel effectif. Le juge allemand a alors posé onze questions préjudicielles à la Cour de justice. Les trois premières concernent, en substance, le point de savoir si le droit de l’Union européenne a vocation à s’appliquer dans l’affaire au principal. Les autres questions préjudicielles visent essentiellement l’application du règlement n° 44/2001 dans l’hypothèse où le domicile du défendeur n’est pas connu.
En premier lieu, la Cour de justice a répondu à la quatrième question préjudicielle qui porte sur l’application du règlement n° 44/2001 dans le cas où le défendeur est probablement un citoyen de l’Union, mais se trouve à un lieu inconnu. Compte tenu de cette circonstance, la juridiction de renvoi demande à la Cour si le cas d’espèce devrait être régi uniquement par les règles procédurales allemandes. La Cour de justice a considéré que le règlement n° 44/2001 doit s’appliquer dans l’affaire au principal pour assurer le respect de l’impératif de sécurité juridique. Les règles procédurales nationales seraient applicables seulement lorsque les juridictions d’un Etat membre disposent d’indices probants démontrant à suffisance que le défendeur est en effet domicilié en dehors du territoire de l’Union. Or, la juridiction de renvoi ne dispose pas de tels indices.
En second lieu, la Cour examine la troisième question préjudicielle qui porte, en substance, sur la compatibilité avec le règlement n° 44/2001 d’un jugement rendu par défaut par le juge d’un Etat membre, en présence d’une difficulté objective de connaître le lieu de résidence du défendeur. Sur ce point, la Cour rappelle que la finalité dudit règlement n’est pas d’unifier les règles procédurales des Etats membres de l’Union mais d’établir une règle de conflit permettant de désigner la juridiction compétente et le droit applicable aux différends en matière civile et commerciale. Dès lors, une juridiction d’un Etat membre peut mener une procédure à l’encontre d’une personne dont le domicile n’est pas connu, dans la mesure où les dispositions du règlement n° 44/2001 ne s’y opposent pas. Toutefois, la Cour souligne que l’ensemble de ces dispositions « expriment l’intention de veiller à ce que, dans le cadre des objectifs [du règlement], les procédures menant à l’adoption de décisions judiciaires se déroulent dans le respect des droits de la défense » (pt 47). Dès lors, la juridiction compétente d’un Etat membre doit sursoir à statuer, tant qu’il n’est pas établi que le défendeur a pris connaissance de l’acte introductif d’instance, lui permettant de se défendre efficacement. La Cour s’est aussi référée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à l’accès à la justice au sens de l’article 6 de la CEDH. Elle a estimé que ni la Convention ni la Charte ne s’opposent à un jugement par défaut, à condition que l’acte introductif d’instance fasse l’objet d’une publication.
Enfin, la juridiction de renvoi demande si un jugement rendu par défaut peut être certifié en tant que titre exécutoire au sens du règlement n° 805/2004. La Cour a refusé d’admettre qu’un tel jugement puisse être certifié, tant que le lieu de résidence du défendeur n’est pas établi avec certitude, et tant que ce dernier n’a pas pu exercer son droit à la défense.
Reproduction autorisée avec l’indication: Grozdanovski Ljupcho, "Le respect des droits de la défense, limite aux procédures juridictionnelles nationales", www.ceje.ch, actualité du 22 mars 2012.