Dans l’arrêt Köbler (aff. C-224/01), la Cour de justice a posé le principe selon lequel la responsabilité des États membres de l’Union européenne peut être engagée lorsqu’une violation du droit de l’Union européenne est imputable à une juridiction nationale statuant en dernier ressort. Dans l’arrêt Traghetti del Mediterraneo (aff. C-173/03), la Cour de justice a admis qu’une telle violation peut découler d’une interprétation opérée par le juge national qui serait « manifestement erronée, notamment au regard de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice » (pt 35). L’arrêt en constatation d’un manquement Commission c. Italie, rendu le 24 novembre 2011 (aff. C-379/10), confirme le principe établi par la Cour dans l’arrêt Traghetti del Mediterraneo.
La Commission européenne reproche à l’Italie d’avoir manqué à ses obligations en vertu du droit de l’Union européenne, du fait de l’interprétation d’une loi italienne qui ne prévoit l’engagement de la responsabilité de l’État que dans des cas de faute grave, notion interprétée strictement par la Cour de cassation italienne. La Commission considère que l’interprétation extrêmement stricte de cette notion revient à limiter, voire exclure, la responsabilité de l’État italien, contrairement aux principes dégagés par la Cour de justice dans l’arrêt Traghetti del Mediterraneo. Elle souligne que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il n’y aurait faute grave qu’en présence d’un caractère manifestement aberrant de l’interprétation effectuée par un magistrat. Cette interprétation est, selon la Commission, équivalente à celle opérée par la Cour de justice des cas de méconnaissance manifeste du droit applicable par les juridictions d’un État membre de l’Union et il n’y aurait pas lieu pour le juge italien d’exiger des conditions d’engagement de la responsabilité de l’État plus strictes que celles qui sont exigées par la Cour de justice.
Dans sa défense, l’Italie soulève qu’un manquement ne saurait résulter de l’interprétation alléguée dans la mesure où la Commission européenne n’aurait pas démontré à suffisance que ladite interprétation concerne une disposition du droit de l’Union européenne (pt 24).
La Cour de justice suit l’argumentation de la Commission européenne. Elle considère que la loi italienne en cause exclut de manière générale la responsabilité de l’État italien du fait d’une interprétation de règles de droit ou d’une appréciation des éléments de fait. Dans la mesure où ladite loi prévoit une telle exclusion dans un certain nombre de cas où le dénominateur commun est une négligence inexcusable, la Cour de justice estime que l’Italie n’a pas apporté une preuve suffisante qu’en présence d’une violation du droit de l’Union européenne par l’une des juridictions suprêmes italiennes, il y aurait une simple limite, et non une exclusion, de la responsabilité de l’État italien.
En ce qui concerne l’interprétation de la notion de faute grave par la Cour de cassation, la Cour de justice rappelle le principe posé dans l’arrêt Köbler selon lequel, lorsqu’une violation du droit de l’Union européenne est imputable à une juridiction nationale, elle est suffisamment caractérisée dès lors qu’il y a une méconnaissance manifeste du droit applicable par le juge national. En raison du devoir d’interprétation conforme, la Cour rappelle que les juges nationaux ne sauraient donner une interprétation des critères d’engagement de la responsabilité de l’État, plus stricte que celle qui est donnée par la Cour. Par conséquent, lorsqu’elle se prononce sur la notion de faute, la Cour de cassation italienne est tenue de l’interpréter d’une manière équivalente à celle de la méconnaissance manifeste du droit applicable, telle qu’exigée par la Cour de justice pour l’engagement de la responsabilité d’un État membre.
Reproduction autorisée avec l’indication: Grozdanovski Ljupcho, "Engagement de la responsabilité d'un Etat membre du fait d'une interprétation par le juge national", www.ceje, actualité du 30 novembre 2011.