Dans le cadre de deux procédures distinctes, un renvoi préjudiciel et un recours en manquement dont les arrêts ont été rendus le 11 septembre 2007, la Cour de justice considère comme contraire à plusieurs libertés du Traité CE la législation fiscale allemande sur la déduction des frais de scolarité de l’impôt sur le revenu.
En premier lieu, l’arrêt rendu dans l’affaire C-76/05 procède d’une question préjudicielle posée par le Tribunal des finances de Cologne appelé à trancher le litige opposant les époux Schwarz, ressortissants allemands résidant en Allemagne, au fisc allemand. Ce dernier a refusé d’accorder aux époux Schwarz le bénéfice de la législation fiscale allemande qui permet de déduire de l’impôt sur le revenu les frais de scolarité versés à certaines écoles établies en Allemagne, au motif que leurs enfants surdoués ont été scolarisés dans une école spécialisée établie en Ecosse, soit dans un autre Etat membre.
La Cour de justice rappelle le rôle subsidiaire joué par l’article 18 CE, qui consacre le droit de tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres et qui trouve une expression spécifique notamment dans les dispositions assurant la libre prestation de services. S’agissant de la question de savoir si les offres de formation proposées par l’école écossaise constituent des « services » au sens des articles 49ss CE, la Cour de justice applique une jurisprudence datée mais constante. Aux termes des arrêts Humbel de 1988 (arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, aff. C-263/86) et Wirth de 1993 (arrêt de la Cour du 7 décembre 1993, aff. C-109/92), la caractéristique essentielle de la rémunération, nécessaire à la qualification de « service » d’une activité, réside dans le fait qu’elle constitue la contrepartie économique de la prestation en cause. Absente dans le cas d’un système d’enseignement public financé principalement par des fonds publics, elle est en revanche satisfaite lorsque l’établissement éducatif est financé pour l’essentiel par des fonds privés. Ne disposant pas des informations nécessaires sur le financement de l’école écossaise en cause dans la présente affaire, la Cour de justice renvoie au juge national le soin d’effectuer cette analyse. Elle examine néanmoins la compatibilité de la législation fiscale allemande à la lumière des deux régimes potentiellement applicables, soit celui des articles 49ss CE dans l’hypothèse où les prestations offertes par l’école écossaise sont qualifiées de services, et celui de l’article 18 CE dans l’hypothèse inverse.
Au regard de la libre prestation de services tout d’abord, la Cour de justice précise que l’application des articles 49ss CE ne dépend pas de la qualification de « services » des prestations bénéficiant, en Allemagne, des avantages prévus par la législation incriminée. La Cour de justice applique, par analogie au domaine de l’éducation, l’arrêt Watts (arrêt de la Cour du 16 mai 2006, aff. C-372/04) rendu en matière de remboursement de prestations médicales transfrontalières. Dans ses conclusions, l’avocat général Stix-Hackl ne cachait toutefois pas sa désapprobation à l’égard d’un tel raisonnement, qui implique à son sens d’une part « une large obligation de libéralisation qui n’est que difficilement conciliable avec le principe de souveraineté des Etats membres » et, d’autre part, une incompatibilité avec la jurisprudence de la Cour sur la notion d’entreprise en droit de la concurrence, qui exclut de ladite notion « les régimes fondés sur le principe de la solidarité nationale » (conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans l’affaire Schwarz, présentées le 21 septembre 2006, § 39).
La Cour de justice considère que la législation en cause constitue une entrave à la libre prestation des services garantie à l’article 49 CE dans la mesure où elle a pour effet de décourager les contribuables résidant en Allemagne de scolariser leurs enfants dans des écoles privées situées ailleurs dans la Communauté européenne. Corrélativement, elle entrave l’offre de formation de tels établissements destinée aux enfants de contribuables résidant en Allemagne. Les justifications à ces entraves avancées par le gouvernement allemand sont toutes rejetées par la Cour de justice. Premièrement, si la fiscalité et l’éducation relèvent de la compétence des Etats membres, la Cour rappelle que ces compétences doivent être exercées dans le respect du droit communautaire. Deuxièmement, l’argument selon lequel l’Etat allemand ne saurait être contraint de subventionner les écoles relevant du système éducatif d’autres Etats membres est écarté au motif que la législation en cause n’accorde pas de subventionnement direct aux établissements scolaires concernés mais un avantage fiscal aux parents. Troisièmement, la Cour relève qu’à défaut pour la législation en cause de préciser un « critère objectif permettant de déterminer quels types de frais de scolarité réclamés par les écoles » sont déductibles (§ 72 de l’arrêt), il ne saurait être invoqué que les écoles allemandes visées par la loi et l’école écossaise dont il est question in casu ne sont pas dans une situation objectivement comparable. En l’espèce, le lieu d’établissement des écoles constitue en réalité le seul critère de distinction et la législation allemande est par conséquent discriminatoire (quand bien même la Cour, au contraire de son avocat général, évite d’employer cet adjectif). Quatrièmement, le gouvernement allemand, se référant à l’arrêt Bidar (arrêt de la Cour du 15 mars 2005, aff. C-209/03), invoque qu’il est légitime de lier l’octroi d’une aide ou d’un avantage fiscal à certains critères afin d’éviter que les charges trop lourdes sur le budget de l’Etat qui résulteraient d’une extension dans le bénéfice de ces privilèges impliquent une diminution en deçà d’un niveau que ledit Etat membre jugerait nécessaire du montant des avantages effectivement alloués. La Cour de justice rejette cette justification d’une part en rappelant, de manière assez inopportune au vu de l’argument développé, que la prévention d’une réduction des recettes fiscales ne constitue ni une justification expresse au sens de l’article 46 CE, ni une raison impérieuse d’intérêt général. D’autre part, elle précise que la volonté de préserver une couverture des frais de fonctionnement des écoles privées sans qu’il en résulte une charge déraisonnable pour l’Etat peut être assurée par des moyens moins contraignants qu’une exclusion totale du bénéfice de l’avantage fiscal lorsque les frais de scolarité sont versés à des écoles situées dans d’autres Etats membres. En conséquence, dans l’hypothèse où l’école écossaise fréquentée par les enfants Schwarz est financée principalement par des fonds privés, la législation allemande en cause serait contraire à l’article 49 CE.
A titre subsidiaire ensuite, la Cour de justice examine la législation contestée au regard de la libre circulation garantie aux citoyens de l’Union en vertu de l’article 18 CE. Citant l’arrêt Zhu et Chen (arrêt de la Cour du 19 octobre 2004, aff. C-200/02), elle rappelle que même des enfants mineurs peuvent se prévaloir des droits de libre circulation garantis par le droit communautaire. Les enfants Schwarz, en fréquentant une école située dans un autre Etat membre, ont ainsi exercé leur droit de libre circulation. Or l’exclusion de l’abattement fiscal lorsque les frais de scolarité sont versés à une école située ailleurs qu’en Allemagne consacre une différence de traitement au détriment des parents-contribuables des enfants ayant exercé leurs droits issus de l’article 18 CE. De manière elliptique, la Cour de justice affirme que cette réglementation « désavantage les enfants de ressortissants nationaux en raison du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circulation » (§ 92 de l’arrêt). La restriction à l’article 18 CE étant établie, la Cour de justice examine si des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées la justifient. Adoptant un raisonnement similaire à celui qu’elle a développé dans ses considérations sur les justifications invoquées en matière de libre prestation des services, la Cour de justice considère la législation allemande comme disproportionnée. Dans l’hypothèse où les prestations offertes par l’école écossaise en cause ne constituent pas des services au sens des articles 49ss CE, la législation allemande incriminée serait en conséquence contraire à l’article 18 CE.
En second lieu, dans le cadre du recours en manquement introduit par la Commission européenne contre l’Allemagne (aff. C-318/05), la Cour de justice considère que la législation allemande viole non seulement les articles 49 et 18 CE, mais également la libre circulation des travailleurs de l’article 39 CE ainsi que la liberté d’établissement de l’article 43 CE. Ladite réglementation désavantage les travailleurs salariés et indépendants assujettis à l’impôt sur le revenu en Allemagne, notamment parce qu’ils y travaillent, dont les enfants suivent leur scolarité dans un établissement situé dans un autre Etat membre.
Dans les deux arrêts présentés, la Cour de justice répète certes la traditionnelle distinction, consacrée en particulier dans les arrêts Humbel et Wirth, entre éducation privée, seule soumise aux dispositions sur la libre prestation de services, et éducation publique. Par son application analogique de l’arrêt Watts, la Cour permet toutefois d’envisager l’application d’une législation réservée au système éducatif national à des prestations en matière d’éducation qualifiées de « services » obtenues dans un autre Etat membre. Plus radicalement, l’avocat général Colomer, dans ses conclusions dans une affaire pendante Morgan (aff. C-11/06), propose de renverser la jurisprudence Humbel et de soumettre les universités, qui ne reçoivent pourtant que des frais d’inscription de source privée, aux dispositions sur la libre prestation de services. Dans les deux affaires examinées, l’enjeu de la qualification de « services » des prestations en cause perd toutefois de son acuité du fait d’une interprétation extensive des droits conférés par l’article 18 CE.
Reproduction autorisée avec indication : Diane Grisel, "L’éducation, la fiscalité et les libertés du Traité CE", www.ceje.ch, actualité du 16 octobre 2007.