Dans un arrêt du 28 juillet 2016 (aff. C-543/14), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la validité et l’interprétation de certaines dispositions de la directive TVA. La Cour constitutionnelle belge a posé quatre questions préjudicielles à la Cour de justiceà l’occasion d’un litige opposant diverses organisations belges, dont l’Ordre des barreaux francophones et germanophones, au Conseil des ministres. Il s’agissait notamment de déterminer si l’absence d’exonération des services d’avocat était compatible avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la CEDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après « PIDCP ») ainsi que la convention d’Aarhus.
Le cœur des discussions concerne l’assujettissement des prestations de services des avocats à la TVA. Jusqu’il y a peu, l’Etat belge exonérait de TVA les prestations de services des avocats. Une loi belge du 30 juillet 2013 a toutefois modifié cette situation. Depuis le 1er janvier 2014, les avocats, à l’instar d’autres prestataires de services, sont assujettis à la TVA, laquelle s’élève à 21% en Belgique.
La Cour constitutionnelle s’est interrogée sur la question de la compatibilité de l’assujettissement des prestations de services des avocats à la TVA avec le droit à un recours effectif et le principe de l’égalité des armes, garantis par les textes internationaux précités. En effet, ledit assujettissement pouvait impliquer une répercussion sur le coût des services proposés, selon les cas. Une augmentation des coûts aurait un impact selon la qualité d’assujetti ou non du justiciable. En effet, si le client bénéficie de l’aide juridique ou s’il dispose de ressources suffisantes, tout en ayant la qualité d’assujetti, il ne devrait pas être touché par l’augmentation des coûts qu’engendrerait l’assujettissement à la TVA. La situation semblait être différente pour le client qui ne bénéficie pas de l’aide juridique car il dispose de ressources suffisantes, sans avoir la qualité d’assujetti. C’est sur cette hypothèse que la Cour se prononce.
Dans un premier temps, la Cour analyse la validité de la directive TVA au regard du droit à un recours effectif et du principe de l’égalité des armes, garantis à l’article 47 de la charte. Elle rappelle à cette occasion sa jurisprudence relative à l’invocation de textes internationaux, tels que la CEDH et le PIDCP pour conclure que seule la Charte est pertinente en vue d’un contrôle de validité de la directive TVA (pt 23).
S’agissant du droit à un recours effectif, la Cour met en évidence ce que ce droit recouvre, et expose les facteurs influençant l’accès à la justice. Tout en admettant que les coûts afférents à la procédure judiciaire doivent être pris en compte, elle démontre qu’une incertitude persiste quant à la mesure dans laquelle l’assujettissement désormais de mise pourrait avoir sur les honoraires pratiqués par les avocats en Belgique. Elle conclut à cet égard qu’ « aucune corrélation stricte, voire mécanique, ne peut être établie entre l’assujettissement à la TVA des prestations de services des avocats et une augmentation du prix de ces services » (pt 35). Le droit à un recours effectif tel que garanti par l’article 47 de la Charte n’est dès lors pas mis en cause.
S’agissant du principe de l’égalité des armes, la Cour précise qu’il ne saurait être déduit de ce principe que les parties à un litige doivent être sur un pied d’égalité « s’agissant des coûts financiers supportés dans le cadre de la procédure judiciaire » (pt 42). Les justiciables non assujettis ne seront donc a priori pas désavantagés par rapport aux justiciables ayant la qualité d’assujetti, puisqu’ils sont supposés disposer de ressources financières suffisantes (pt 44).
Dans un deuxième temps, la Cour justifie l’absence de contrôle de la validité de la directive TVA envisagée par rapport à certaines dispositions de la convention d’Aarhus, en démontrant que les conditions pour ce faire ne sont pas remplies. En effet, les dispositions en cause ne sont pas, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises. L’intervention d’un acte ultérieur ainsi que les critères arrêtés par le droit national ôtent aux dispositions le caractère d’inconditionnalité et de précision nécessaires pour un tel contrôle.
La Cour clôt son raisonnement sur l’interprétation de l’article 132 de la directive TVA, consacré aux « exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général ». Il s’agissait d’apprécier si les prestations fournies par les avocats dans le cadre d’un régime national d’aide juridictionnelle pouvaient prétendre être exonérées en raison d’un éventuel caractère social qui leur serait reconnu. La Cour répond par la négative, estimant que l’application de l’exonération n’est possible que lorsque la prestation est « étroitement liée à l’aide et la sécurité sociale » mais aussi qu’elle est effectuée « par des organismes reconnus comme ayant un caractère social » (pt 63). Les prestations visées ne remplissant pas ces critères, elles ne peuvent être exonérées sur la base de l’article 132 de la directive TVA.
Il peut être observé que la Cour n’a analysé que la première question posée, sans statuer sur les suivantes. Cet arrêt a été l’occasion de rappeler les contours des notions de droit à un recours effectif et du principe d’égalité des armes. L’absence d’effet direct de certaines dispositions de la convention d’Aarhus a lui aussi été mis en évidence. Enfin, d’un point de vue concret, cet arrêt confirme la légalité de la situation actuelle en matière d’assujettissement des avocats à la TVA, situation récente pour les avocats pratiquant en Belgique, qui était finalement un cas isolé en la matière, comparé aux autres Etats membres de l’Union européenne.
Margaux Biermé, « Conformité de la TVA des avocats au droit de l’Union », actualité du 1er septembre 2016, www.ceje.ch