Dans un arrêt du 5 mars 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a constaté que le taux de TVA super-réduit appliqué par le Luxembourg à la fourniture de livres électroniques était contraire à la directive 2006/112 dite « directive TVA ». La France a également été condamnée le même jour pour violation de la directive TVA de 2006 en raison de l’application du taux de TVA réduit à la fourniture de livres électroniques (aff. C-479/13).
L’arrêt, rendu sans conclusions d’avocat général, a le mérite de la clarté et de la concision. Saisie par la Commission européenne d’une demande en constatation de manquement à l’encontre du Luxembourg, la Cour de justice devait s’interroger sur l’interprétation du point 6 de l’annexe III de la directive TVA, tel que modifié par la directive 2009/47, selon lequel les taux réduits de TVA s’appliquent à « la fourniture de livres, sur tout type de support physique, (…)»). Elle devait ainsi déterminer si cette disposition comprenait la fourniture de livres électroniques.
La Commission européenne soutenait que l’application du taux super-réduit de 3 %, c’est-à-dire un taux inférieur au taux réduit de droit commun de 5 % de TVA, pour la fourniture de livres électroniques était incompatible avec les articles 96 à 99, 110 et 114 de la directive TVA. Depuis la loi TVA luxembourgeoise de 1979, le taux super-réduit de TVA s’appliquait à la livraison de biens et aux prestations de services en matière de livres, journaux, et périodiques. En 2011, une circulaire du Gouvernement luxembourgeois a étendu l’application de ce taux super-réduit à la fourniture de livres électroniques.
La Cour de justice examine, dans un premier temps, la validité du taux super réduit appliqué aux livres électroniques par rapport aux dispositions relatives au taux réduit de TVA. Pour la Cour, le point 6 de l’annexe III de la directive TVA doit être interprété en ce sens que le taux réduit de TVA est applicable à l’opération qui consiste à fournir un livre se trouvant sur un support physique. Or, la Cour de justice constate que lors de la fourniture de livres électroniques, la fourniture [livraison ?] du support physique de lecture n’est pas incluse. Contrairement à cette interprétation, le Luxembourg faisait valoir que l’inclusion du terme «tout support physique» lors de la révision de la directive en 2009 visait à adapter le texte de la directive à l’évolution technologique. La Cour de justice réfute cet argument en soutenant que l’article 98, paragraphe 2, de la directive TVA exclut la prestation de services fournis par voie électronique de l’application de taux réduit de TVA. Elle considère que la fourniture de livres électroniques constitue bien une prestation de services au sens de la directive. D’une part, la fourniture de livres électroniques ne saurait être considérée comme une livraison de biens à défaut de fourniture de tout support corporel. D’autre part, en vertu du règlement d’exécution n°282/2011, constituent des services fournis par voie électronique au sens de la directive TVA «les services fournis sur l’internet ou sur un réseau électronique, et dont la nature rend la prestation largement automatisée, accompagnée d’une intervention humaine minimale et impose à assurer en l’absence de technologie de l’information». La fourniture de livres électroniques correspond à cette définition. Etant donné que la directive exclut l’application du taux réduit de TVA aux services fournis par voie électronique et que la fourniture de livres électroniques constitue bien un service électronique, la fourniture de livres électroniques n’entre pas dans le champ d’application de l’annexe III de la directive TVA.
La Cour de justice rejette également les autres arguments du Luxembourg. Le principe de neutralité fiscale ne peut avoir pour effet d’étendre le champ d’application du taux réduit de TVA en l’absence d’une disposition non équivoque. Les travaux préparatoires de la directive de 2009, qui a modifié la directive de 2006, n’induisent pas que le législateur a voulu incorporer à la liste de l’annexe III les livres électroniques mais vont dans le sens d’une simplification textuelle. La non –application du taux réduit de TVA aux livres électroniques ne va pas à l’encontre de l’objectif de la disposition relative au taux-réduit. En outre, la Cour reconnaît classiquement que le Luxembourg ne peut invoquer l’invalidité de la directive TVA dont il est le destinataire comme moyen de défense contre un recours en manquement fondé sur l’inexécution de cette directive. Dans cette perspective, la Cour de justice ajoute qu’un Etat membre ne peut pas non plus se prévaloir de l’invalidité de la directive de 2009 au motif que le rôle du Parlement européen aurait été méconnu.
La Cour de justice conclut que dans la mesure où la fourniture de livres électroniques n’entre pas dans le champ d’application de l’annexe 6 de la directive TVA, le taux réduit appliqué par le Luxembourg est contraire à l’article 98, paragraphe 2, de la directive TVA.
Dans un second temps, la Cour de justice examine la conformité du taux super-réduit de TVA appliqué aux livres électroniques au regard des dispositions relatives au taux super-réduit dans la directive TVA. L’article 110 de la directive TVA impose des conditions pour l’application du taux super-réduit régi par l’article 99 de cette même directive. Une des conditions vise la conformité du taux réduit avec la législation de l’Union européenne. Etant donné que le taux réduit est contraire à l’article 98, paragraphe 2, de la directive TVA, les conditions pour l’application du taux super-réduit ne sont pas réunies. De plus, l’article 114 de la directive TVA exige que la livraison de biens ou de services relève de l’une des catégories figurant à l’annexe III de la directive. Or, le champ d’application de cette annexe ne couvre pas la fourniture de livres électroniques. Logiquement, l’application du taux super-réduit est considérée comme contraire aux dispositions relatives à ce taux dans la directive TVA. Le manquement du Luxembourg à la directive TVA est ici également constaté, il devra désormais appliquer le taux normal de TVA de 15 % à la fourniture de livres électroniques.
Lucie Vétillard, "Application de quel taux de TVA à la fourniture de livres électroniques ?", actualité du 12 mars 2015, http://www.ceje.ch/