fb-100b.png twitter-100.pnglinkedin-64.png | NEWSLETTER  |  CONTACT |

Le renforcement de la conditionnalité : l’intégration du principe du pollueur-payeur dans la PAC

Anne Monpion , 20 mars 2014

La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 27 février 2014, C-396/12, apporte un certain nombre de précisions relatives aux conditions de sanction de la conditionnalité en matière d’aides directes octroyées aux agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Si cet arrêt pourrait de prime abord passer inaperçu, dans la mesure où il ne bouleverse pas les fondamentaux en la matière, il n’en reste pas moins que la solution adoptée vient renforcer l’application du principe du pollueur-payeur dans le champ de la PAC.

En l’espèce, deux agriculteurs néerlandais, bénéficiaires de l’aide au revenu et de l’aide en faveur d’une gestion respectueuse de l’environnement, ont fait l’objet d’un contrôle sur place du respect de la conditionnalité de la PAC. A cette occasion, il a été constaté que des engrais n’avaient pas été épandus d’une manière susceptible de produire peu d’émissions exigée par une disposition de la législation nationale. Ces engrais avaient été épandus, à la demande des requérants au principal, par un travailleur indépendant au service d’une entreprise de travaux agricoles.

Sur le fondement de ce constat, l’autorité de contrôle a adopté une décision par laquelle elle a réduit de 20 % pour non-respect intentionnel de la législation l’aide en faveur d’une gestion agricole respectueuse de l’environnement. Le non-respect, par les travailleurs agricoles, de l’obligation d’épandre l’engrais d’une manière qui produit peu d’émissions, leur a été imputé.

C’est dans le cadre de la réclamation introduite contre cette décision que la Cour de justice a eu à se prononcer sur les questions préjudicielles tendant à savoir, d’une part, comment doit s’apprécier le caractère du non-respect intentionnel d’une exigence ou d’une règle environnementale dans le cadre de la conditionnalité, et, d’autre part, s’il est possible d’imputer au bénéficiaire de l’aide le caractère intentionnel du non-respect dans l’hypothèse où un tiers exécute les travaux.

Concernant la première question, la Cour de justice rappelle que les règlements européens en la matière ont entendu conditionner les paiements directs au respect des exigences environnementales. L’application des sanctions en cas de violation des exigences de conditionnalité a lieu en cas de négligence ou d’acte intentionnel. Le régime de responsabilité prévu n’a donc pas un caractère objectif. Dans la mesure où les règlements européens visent des cas de non-conformité, respectivement due à un acte intentionnel ou revêtant un caractère intentionnel, la Cour de justice précise que la notion de « non-conformité intentionnelle » doit être interprétée en ce sens qu’elle suppose la violation des règles relatives à la conditionnalité par un bénéficiaire d’aides qui recherche un état de non-conformité auxdites règles ou qui, sans rechercher un tel état, accepte l’éventualité que celui-ci puisse se produire. La Cour de justice ajoute que lorsqu’un Etat membre fixe un critère de ce caractère intentionnel auquel il attache une force probante élevée, cet Etat doit néanmoins prévoir une possibilité pour le bénéficiaire d’aides d’apporter la preuve de l’absence d’élément intentionnel dans son comportement. En l’espèce, ce critère était l’existence d’une politique constante et de longue durée. En résumé, pour les autorités néerlandaises, les bénéficiaires des aides avaient intentionnellement manqué à leurs obligations dans la mesure où elles étaient anciennes et constantes. Pour la Cour de justice, un tel critère ne doit pas entraîner l’existence d’une présomption irréfragable mais bien permettre aux bénéficiaires d’apporter la preuve contraire.

Enfin, concernant la deuxième question, la Cour de justice a décidé que dans l’hypothèse d’une violation des exigences relatives à la conditionnalité par un tiers qui exécute des travaux à la demande d’un bénéficiaire d’aides, celui-ci peut être tenu responsable de cette violation s’il a agi de façon intentionnelle ou négligente du fait du choix ou de la surveillance de ce tiers ou des instructions données, et cela indépendamment du caractère intentionnel ou négligent du comportement de ce tiers. Autrement, selon la Cour, l’effet incitatif des sanctions de la conditionnalité serait vain.

Cette solution vient renforcer l’application du principe du pollueur-payeur en ce sens que la conditionnalité est un instrument au service de ce principe puisqu’elle oblige les exploitants agricoles à supporter les coûts de prévention et de lutte contre la pollution. Ainsi, la Cour de justice, en précisant les critères du non-respect intentionnel de l’atteinte à la conditionnalité et surtout, en assurant le caractère dissuasif de cet instrument, intègre davantage le principe du pollueur-payeur au sein de la PAC, là où il rencontre de sérieuses difficultés d’application.


Anne Monpion, "Le renforcement de la conditionnalité: l'intégration du principe du pollueur-payeur dans la PAC", www.unige.ch/ceje, Actualité du 20 mars 2014.