La législation de l’Union en matière d’OGM est décidément bien complexe. C’est ce que démontrent deux arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne les 6 et 8 septembre 2011. Cette complexité ne garantit pas forcément l’efficacité, ce qui en matière d’OGM, nuit fatalement au citoyen-consommateur.
L’arrêt du 8 septembre, rendu dans les affaires jointes C-58/10 à 68/10, répond à trois questions préjudicielles présentées dans le cadre de onze litiges opposant la firme Mosanto au ministère français de l’agriculture, au sujet de la légalité de deux mesures nationales provisoires ayant successivement suspendu la cession et l’utilisation des semences de maïs MON 810, puis interdit la mise en culture des variétés de semences issues de la lignée de ce maïs.
La première question relève de la technique juridique puisque le Conseil d’Etat français demande à la Cour de justice si cet OGM, pour ce qui concerne les mesures d’urgence, telle que la suspension de sa culture, pouvant être prises postérieurement à la délivrance de mise sur le marché, sont soumises à la disposition prévue par le règlement n°1829/2003 du Parlement européen et du Conseil concernant les denrées alimentaires pour animaux génétiquement modifiées ou, au contraire, si de telles mesures peuvent être prises par un Etat membre sur le fondement de la directive 2001/18 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement et des dispositions qui en assurent la transposition. L’on ne peut que douter de la clarté d’une législation lorsque deux bases juridiques sont a priori envisageables pour l’adoption d’un seul acte.
Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction française souhaite savoir si la disposition du règlement n° 1829/2003 concernant les mesures d’urgence autorise un Etat membre à adopter de telles mesures dans les circonstances telles que celles en cause au principal. Elle requiert également une réponse sur le point de savoir quel degré d’exigence cette même disposition impose aux Etats membres en vue de l’adoption de mesures d’urgence en tant qu’elle subordonne celle-ci à l’existence d’une situation susceptible de présenter « de toute évidence » un « risque grave » pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.
De manière tout à fait didactique, la Cour de justice livre un véritable, et nécessaire, guide d’utilisation du droit des OGM. A la première question, elle répond que dans les circonstances de l’espèce, des OGM notifiés en tant que produits existants, qui ont ensuite fait l’objet d’une demande de renouvellement d’autorisation en cours d’examen, peuvent faire l’objet de mesures de suspension ou d’interdiction provisoire de l’utilisation ou de la mise sur le marché, mais seulement sur la base de la disposition prévue dans le règlement n° 1829/2003. Dans ce cas, l’Etat membre doit établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. En pratique, en ce qui concerne la cause au principal, les autorités françaises devront abroger les mesures d’urgence prises sur le fondement erroné et adopter les mêmes mesures sur la base juridique adéquate.
La Cour de justice précise ensuite que le miel qui comprend dans sa composition du pollen génétiquement modifié doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. En l’absence d’indication du législateur dans ce sens, il n’est pas possible de procéder par analogie avec les dispositions relatives à l’étiquetage qui dispense d’apposer la mention de la présence d’OGM en dessous du seuil de 0,9 % par ingrédient. Ce seuil de tolérance est en effet seulement applicable à l’obligation d’étiquetage des denrées alimentaires génétiquement modifiés. Il ne saurait donc s’appliquer aux conditions de mise sur le marché même s’il s’agit d’une denrée alimentaire renfermant un matériel contenant des OGM. Cette interprétation restrictive de la législation est tout à fait conforme à l’objet de protection d’un niveau élevé. Mais les circonstances de l’espèce démontrent l’échec de la coexistence entre les cultures traditionnelles et les cultures d’OGM, et par là-même du principe de précaution.
Enfin, en pratique, les agriculteurs subissent en l’espèce un préjudice important puisque, censés vendre un produit naturel et sain, ils produisent en réalité un produit complètement dénaturé. L’avocat général Bot, dans ses conclusions, a d’ailleurs souhaité apporter un élément de solution à ce problème en précisant qu’il revient, en vertu du principe de subsidiarité, aux autorités nationales de prévoir les règles et les mécanismes procéduraux aptes à pallier les inconvénients qui pourraient naître de la coexistence entre les cultures génétiquement modifiées et les productions traditionnelles lorsque la solution à de tels inconvénients ne découle pas directement du droit de l’Union. L’indemnisation du préjudice économique subi par un apiculteur qui se trouve empêché de mettre ses produits sur le marché constitue l’une de ces solutions.
La Cour de justice n’a pas pris position sur ce point. Elle n’a pas souhaité sortir du cadre de la question préjudicielle posée. Or cette solution ne peut qu’engendrer d’autres questions préjudicielles compte tenu de la nécessaire cohérence entre la législation sur les OGM, les objectifs de coexistence des cultures et les aides structurelles à l’activité apicole.
Reproduction autorisée avec l’indication: "La législation sur les OGM devant la Cour de justice", www.ceje.ch, actualité du 5 octobre 2011.