Dans deux arrêts du 9 mars 2010 (affaire C-378/08- et affaires jointes C-379/08, C-380/08-, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu à des questions préjudicielles posées par le Tribunale amministativo regionale della Sicilia (Tribunal administratif régional de Sicile, Italie). Elle a considéré que les exploitants qui ont des installations à proximité d’une zone polluée peuvent être présumés responsables de la pollution qui y est constatée. De plus, les autorités nationales peuvent subordonner le droit des exploitants d’utiliser leurs terrains à la condition de réaliser les travaux de réparation environnementale exigés. Ces arrêts portent sur l’interprétation du principe du pollueur-payeur et de la directive 2004/35- du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.
Les litiges à l’origine des ces affaires opposent les Sociétés Raffinerie Mediterrannee (ERG) SpA, Polimeri Europa Spa, Syndical SpA et ENI SpA à plusieurs autorités nationales, régionales et communales italiennes. Les autorités administratives avaient imposé des obligations de réparation de dommages environnementaux à ces sociétés qui possèdent des installations et/ou des terrains autour de la rade d’Augusta, laquelle est affectée par des phénomènes récurrents de pollution. Depuis les années soixante, de nombreuses entreprises actives dans le secteur des hydrocarbures et de la pétrochimie se sont succédées dans cette région.
Dans l’affaire C-287/08, le tribunal national demande, entre autres, si le principe du pollueur-payeur, consacré à l’article 174, paragraphe 2, premier alinéa, CE, et les dispositions de la directive 2004/35, s’opposent à une réglementation nationale qui autorise les autorités nationales à imposer des mesures de réparation de dommages environnementaux à des exploitants, sans avoir enquêté au préalable sur l’événement à l’origine de la pollution et sans avoir établi ni un lien de causalité entre les dommages et les exploitants, ni l’intention dolosive ou la faute des exploitants.
La Cour rappelle l’obligation d’établir un lien de causalité pour les cas de pollutions de caractère diffus et étendu. Elle constate que la manière dont ce lien doit être établi n’est pas précisée par la directive. Ainsi, les Etats sont compétents pour apprécier l’existence de ce lien. La Cour exige néanmoins que la présence « d’indices plausibles susceptibles de fonder la présomption » soit établie. Par conséquent, un Etat membre peut prévoir la faculté des autorités compétentes d’imposer des mesures de réparation en présumant le lien de causalité entre la pollution et les activités, la proximité des installations des exploitants concernés avec la pollution étant suffisante pour établir ce lien.
Dans les affaires jointes, le tribunal administratif demande en substance si la directive s’oppose à une réglementation nationale qui confère à l’administration le pouvoir d’ordonner des interventions supplémentaires à des mesures de réparation des dommages environnementaux qui ont été exécutés ou qui font l’objet d’un commencement d’exécution et qui avaient été décidées à l’issue d’une enquête contradictoire. La Cour est également appelée à se prononcer sur la question de savoir si la directive s’oppose à une réglementation qui prévoit de telles mesures sans qu’une évaluation spécifique au site ne soit exigée. Le tribunal cherche enfin à savoir si l’exercice du droit des exploitants à utiliser leurs terrains peut être soumis à la condition de réaliser les travaux de réparation exigés, alors même que les terrains ne sont pas concernés, soit parce qu’ils ont fait l’objet de mesures antérieures, soit parce qu’ils n’ont jamais été pollués.
En constatant que l’autorité est habilitée à modifier les mesures de réparation environnementale précédemment arrêtées, la Cour suit les conclusions- de Madame l’Avocat Général Kokott. Elle affirme en outre que les intérêts des exploitants ne peuvent pas être ignorés et donne une interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive, favorable aux intéressés. Alors que la directive ne prévoit pas la possibilité pour les exploitants concernés par l’obligation de réparer des dommages environnementaux de déposer des observations, la Cour affirme que le principe du contradictoire, dont elle assure le respect, impose aux autorités de les entendre. Une exception peut être admise lorsqu’une situation d’urgence exige une action immédiate.
La Cour rappelle que le droit de propriété, dont se prévalent les requérants, fait partie des principes généraux du droit de l’Union. Il doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société et les restrictions apportées à ce droit doivent répondre à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Or la protection de l’environnement figure parmi ces objectifs. En conséquence, la Cour estime qu’il est possible de subordonner à des conditions l’exercice du droit des exploitants d’utiliser leurs terrains. La Cour applique le principe de précaution quand elle estime que la condition de réaliser les travaux de réparation exigés peut être justifiée par l’objectif d’empêcher l’aggravation de la situation environnementale ou par l’objectif de prévenir l’apparition ou la résurgence d’autres dommages.
Le principe du pollueur-payeur, qui préside à l’imputation des coûts, prévoit que celui qui a causé un dommage est obligé de le réparer. Or ces arrêts, rendus en grande chambre, démontrent que les coûts peuvent être imputés à des personnes qui n’ont peut-être pas causé les dommages. Cette approche semble conforme à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/35, qui permet l’adoption de dispositions plus strictes concernant la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Le lien de causalité pouvant être présumé, la charge de la preuve peut ainsi être renversée par les règles nationales. Ces arrêts, s’ils rendent légitimes des mesures coûteuses et fâcheuses pour les exploitants concernés, poursuivent l’objectif de réparer les dommages environnementaux à un coût raisonnable pour la société.
Reproduction autorisée avec indication : Anicée Lay, "Principe du pollueur-payeur et responsabilité environnementale", www.ceje.ch, actualité du 31 mars 2010.