Toujours plus conscients de la nécessité d’agir rapidement contre la terrible menace que représente le réchauffement climatique, les institutions de l’Union européenne (UE) et le Conseil européen multiplient les propositions, résolutions et autres documents visant à répondre aux attentes de citoyens angoissés et aux avertissements brutaux d’une planète à bout de souffle.
Le 23 janvier 2008, la Commission européenne a proposé une directive au Parlement européen et au Conseil de l’UE, sur la base des articles 175 et 95 du Traité CE, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (version PDF) visant à fixer un objectif contraignant de 20% de la part des énergies renouvelables dans la consommation globale de l’Union européenne d’ici à 2020. Cette proposition fait notamment suite aux conclusions du Conseil européen de Bruxelles de mars 2007 (document n° 7224/07 PDF) lesquelles réaffirment l’engagement de la Communauté européenne de poursuivre le développement des énergies renouvelables en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Toutefois, dans un contexte mondial où plus de 800 millions d’êtres humains souffrent en permanence du manque de nourriture, l’utilisation de bioénergies conçues à partir de biomasses peut paraître à bien des égards inadmissible. En effet, une biomasse est constituée notamment de la part biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l’agriculture, de la sylviculture et d’autres industries connexes. L’huile de palme, de colza ou de tournesol, le soja, la canne à sucre, le blé et le maïs, autant de biocarburants nouveaux sur le marché de l’énergie et autant d’aliments retirés du marché de l’alimentation.
A la tribune des Nations Unies, Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, dénonçait en octobre 2007 le risque d’« une concurrence entre nourriture et carburant, qui laissera les pauvres et les victimes de la faim des pays en développement à la merci de l’augmentation rapide des prix des aliments, des terres vivrières et de l’eau. » L’UE lutte depuis plus de dix ans contre la faim dans le monde, elle est notamment membre de la Convention relative à l’aide alimentaire de 1999 (contenue dans l’Accord international sur le commerce des céréales de 1995 PDF). Avec la proposition de directive sur l’utilisation d’énergies renouvelables, elle se lance à l’assaut d’une nouvelle problématique, la préservation de l’environnement à travers la réduction des émissions polluantes. Il me semble donc intéressant de chercher à savoir si la Commission a pris en compte, en rédigeant ce texte, les vues exprimées par les opposants au développement de biocarburants produits à partir de denrées alimentaires et elle a tenté de concilier deux politiques communautaires qui semblent aujourd’hui entrer en conflit.
Une lecture plus détaillée du contenu de la proposition de la Commission s’impose. Son article 2 dresse la liste des énergies renouvelables, tels que l’éolien, le solaire, la géothermie ou l’hydroélectrique, mais également la biomasse, dont le biocarburant et le bioliquide sont des produits dérivés. Il est toutefois à noter que la biomasse telle qu’elle est définie à cette même disposition n’est pas uniquement constituée d’aliments détournés, mais peut être également composée de produits non comestibles (par exemple des algues ou du bois) et comprendre la partie biodégradable des déchets industriels (par exemple boues d’épuration ou déchets verts) qui constitue une part importante des rejets humains généralement incinérés.
Il convient de s’arrêter sur les points les plus relevants pour la présente analyse qui sont les articles 15 et suivants de la proposition, ainsi que les considérants 34 et suivants, lesquels traitent de la viabilité environnementale des biocarburants et autres bioliquides. Aux termes de ces dispositions, la production de biomasse ne doit pas résulter en la destruction d’une biodiversité déjà mondialement menacée par la surexploitation des sols et la monoculture, et leur culture ne doit pas être faite sur des terres présentant un important stock de carbone. Les considérations environnementales, essentielles et cohérentes sont prises en compte dans la proposition, car il ne s’agit pas de développer les énergies renouvelables d’un côté pour détruire les derniers espaces écologiques préservés de l’autre. Toutefois, les considérations sociales, humaines et humanitaires sont absentes de ce projet de directive pourtant incontestablement pertinent en termes de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique.
Dans l’élaboration de ses politiques, l’UE tend trop souvent à fractionner les problèmes auxquels elle est confrontée et à les régler de manière cloisonnée, quitte à aggraver la situation dans un autre domaine comme cela risque d’être le cas de la lutte contre la faim dans le monde si cette directive devait être adoptée. Or, à l’heure où la Malaisie et l’Indonésie envisagent de former un cartel de l’huile de palme, où le Brésil arrose ses hectares de canne à sucre avec des pesticides agressifs et où les Etats-Unis continuent de planter massivement du maïs génétiquement modifié pour le transformer en éthanol, il semble nécessaire de se poser la question : l’UE peut-elle vraiment dissocier les questions de production d’énergies renouvelables et lutte contre la faim dans le monde ? La réponse devrait clairement être négative, car la protection de l’environnement et l’amélioration des conditions de vie des êtres humains sont incontestablement des questions complémentaires et indissociables. Dans les années à venir, le défi sera donc pour l’UE de réconcilier la Terre et les hommes, et de les protéger sans les désunir ni les confronter.
Reproduction autorisée avec indication : Eléonore Maitre, "La Commission propose une directive sur l’utilisation de sources d’énergie renouvelables... mais lesquelles ?", www.ceje.ch, actualité du 11 février 2008.