Sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée, le 29 juin 2016, sur les conditions d’applicabilité du principe ne bis in idem dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention d’application de l’accord Schengen à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (affaire C-486/14).
L’affaire, à l’origine du renvoi, concerne des poursuites introduites par l’Allemagne à l’encontre de M. Kossowski, auquel il est reproché d’avoir commis sur le territoire allemand des extorsions assimilées à des vols qualifiés. Après avoir pris la fuite, l’inculpé est interpellé en Pologne, en vue de l’exécution d’une peine d’emprisonnement à laquelle il a déjà été condamné dans l’Etat en question. Parallèlement, le parquet d’arrondissement de Kołobrzeg en Pologne a également ouvert une instruction pénale relative à l’accusation des autorités allemandes : une entraide judiciaire entre le parquet polonais et allemand a été instaurée pour permettre la production d’une copie de l’acte d’accusation. Toutefois, faute de charges suffisantes, le parquet d’arrondissement de Kołobrzeg a décidé de clôre la procédure pénale au motif que le prévenu a refusé de faire une déposition et que la victime, ainsi que le témoin par ouï-dire, tous deux résidants en Allemagne, ne pouvaient être entendus dans la procédure. Le parquet allemand a dès lors émis un mandat d’arrêt européen contre M. Kossowski, l’exécution duquel a été refusée par le Tribunal régional polonais. L’inculpé a finalement été arrêté en Allemagne quelques années plus tard. Le Tribunal régional allemand, qui a réceptionné l’acte d’accusation, a cependant refusé d’ouvrir une procédure de jugement sur la base de l’article 54 de la Convention d’application de l’accord Schengen (ci-après : la Convention) qui stipule qu’ « [u]ne personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ».
Ainsi, c’est dans ces circonstances que la Cour de justice de l’Union européenne doit répondre à la question concernant le caractère et l’étendue de la qualification « définitivement jugée » au sens de l’article 54 de ladite Convention. Cette dernière a été incorporée dans le droit de l’Union par le biais du protocole n° 2 annexé au traité UE et qui intègre l’acquis de Schengen, permettant ainsi la mise en place d’une coopération renforcée. En outre, la Cour de justice précise que, conformément à un arrêt antérieur, l’interdiction de la double poursuite énoncée par l’article 54 de la Convention doit être interprétée conformément à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), qui exprime également le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction (affaire C-398/12).
Deux conditions doivent être remplies afin de considérer une personne comme « définitivement jugée » au sens des articles mentionnés : l’action publique doit être éteinte selon le droit de l’Etat qui a rendu la décision en cause et ladite décision doit être prise après une analyse du fond de l’affaire.
Dans le cas d’espèce, la décision du parquet polonais avait pour but de mettre fin à la procédure pénale et donc, d’éteindre l’action publique. En effet, aucune circonstance qui permettrait de remettre en cause la décision définitive au sens du droit polonais ne peut entrer en ligne de compte. En outre, à la lumière de l’article 54 de la Convention, l’absence de sanction n’est pas pertinente.
En ce qui concerne la condition d’une décision fondée sur une appréciation au fond de l’affaire, il est important de relever que le principe ne bis in idem tend à garantir une libre circulation des personnes dans l’espace Schengen sans devoir courir le risque d’une double poursuite pour une même infraction. Néanmoins, cette disposition doit être lue conformément à l’article 3, paragraphe 2, du traité UE qui garantit aux citoyens de l’Union un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures. La libre circulation des personnes est accompagnée de mesures simultanées de prévention et de lutte contre la criminalité. Il en découle la nécessité d’éviter que des comportements illicites ne soient soustraits à toute sanction. Il est vrai qu’une confiance mutuelle en matière de justice, en particulier en l’application de code pénal, doit exister entre les Etats contractants de la Convention. Cependant, pour une bonne application de la reconnaissance mutuelle des décisions pénales, il est nécessaire que les Etats puissent être assurés que la procédure est menée de manière définitive et suite à une appréciation au fond.
Une décision qui clôt la procédure au seul motif que l’inculpé a refusé de déposer et que la victime et le témoin n’ont pu être entendus ne constitue pas un examen approfondi et critique, qui peut être considérée comme une décision appréciée au fond. En effet, la justification de ladite décision indique précisément que l’instruction au fond fait défaut. Dès lors, la Cour de justice qualifie la décision de non-définitive, ce qui ouvre la possibilité au parquet allemand de poursuivre la procédure pénale contre M. Kossowski.
Cet arrêt permet de mettre en lumière les conditions d’interprétation des articles 54 de la Convention et 50 de la Charte, mais aussi de démontrer qu’une décision de non-lieu ne garantit pas l’application du principe ne bis in idem. Dès lors, la personne qui a fait l’objet d’une procédure pénale, n’est pas immunisée contre la reprise d’une instruction si les circonstances de « jugement définitif » ne sont pas réunies. Finalement, le cas d’espèce pose la question de coopération entre les Etats membres en matière judiciaire : en effet, n’y avait-il aucun moyen pour assurer la poursuite de l’instruction par le parquet polonais grâce à une meilleure communication et à l’entraide pénale, notamment en ce qui concerne l’appel à la victime ou au témoin ? Faute de coopération plus élaborée, l’instruction a été reprise près de 5 ans plus tard, tout en permettant à l’inculpé de croire à l’illusion de l’applicabilité du principe ne bis in idem.
Alicja Zapedowska, «Ne bis in idem, un principe à toute épreuve dans l’espace Schengen ?», Actualité du 7 juillet 2016, disponible sur www.ceje.ch