Dans l’arrêt du 15 février 2016, la Cour de justice s’est prononcée sur la validité de l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (ci-après « directive accueil »), dans le cadre d’une procédure préjudicielle d’urgence introduite par le Raad van State néerlandais. Cette disposition édicte qu’un demandeur ne peut être placé en rétention que lorsque la protection de la sécurité nationale ou l’ordre public l’exige.
J. N. a été placé en rétention en tant que demandeur d’asile sur le fondement de la législation néerlandaise, transposant la directive accueil. La juridiction de renvoi justifie la rétention pour des raisons de protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public. En effet, N est l’auteur de multiples infractions et a fait l’objet d’une décision de quitter le territoire, assortie d’une interdiction d’entrée. J. N. soutient que cette rétention est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CEDH »).
La question préjudicielle porte sur l’examen de la validité de l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive accueil par rapport à l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union pour ce qui est de la mise en rétention de J. N., en tenant compte des explications relatives à la Charte, qui prennent en considération la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne plus particulièrement l’article 5.
L’article 5 de la CEDH garantit le droit à la liberté et à la sûreté et définit les hypothèses dans lesquelles une privation de liberté peut intervenir. La Charte des droits fondamentauxprévoit un droit identique et, par le truchement de l’article 52, indique la mesure dans laquelle la CEDH doit être prise en considération en vue d’apprécier la portée et l’interprétation des droits garantis par la Charte, notamment en matière de limitation de l’exercice desdits droits.
Dans un premier temps, la Cour confirme sa jurisprudence antérieure consistant à affirmer, à juste titre, que la CEDH n’est pas un instrument juridique formellement intégré dans l’ordre juridique de l’Union (pt 45). Selon nous, une telle intégration existe mais elle est de nature « substantielle » puisque la Cour reconnaît que « les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux (…) ». Les principes généraux constituent une source formelle du droit de l’Union. En outre, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits contenus tant dans la Charte que dans la CEDH doivent avoir un sens et une portée identiques.
On continue donc à observer une cohérence équivoque de la Cour : cohérence car elle opère l’examen de validité par rapport à la Charte, son instrument juridique formellement contraignant, et équivoque en ce qu’elle souligne qu’il y a lieu de se référer, le cas échéant, à la CEDH. Il ne s’agit pas ici d’une simple « interprétation à la lumière de » mais de donner le même sens et la même portée que les droits garantis par la CEDH.
Dans un deuxième temps, la Cour s’emploie à donner des éclaircissements sur les deux dispositions pertinentes faisant l’objet de la question préjudicielle en reprenant d’abord les principes devant guider son interprétation et en appliquant ensuite ceux-ci au cas d’espèce.
Une interprétation correcte de l’article 6 de la Charte suppose la prise en considération des explications relatives à cet article (pt 47). Bien que n’ayant pas en soi de valeur juridique, les explications prévoient une correspondance entre les droits prévus à l’article 6 de la Charte et ceux compris à l’article 5 de la CEDH.
La Cour constate que l’article 8 de la directive a trait à une limitation de l’exercice du droit à la liberté et analyse les conditions dans lesquelles cette limitation peut intervenir (pts 49 à 53). Elle s’attarde sur la proportionnalité de l’ingérence constatée et la nécessité des limitations qui peuvent être décidées. La Cour insiste sur la nature strictement nécessaire des limitations, adoptant alors, pour le droit à la liberté, une jurisprudence analogue à celle existant en termes de droit au respect de la vie privée. Elle examine alors en détail l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive accueil et constate que, s’il existe en effet une marge de manœuvre laissée aux Etats membres en la matière, celle-ci est néanmoins clairement circonscrite. La Cour conclut dès lors que les garde-fous suffisent à admettre le respect, par le législateur de l’Union, du « juste équilibre entre, d’une part, le droit à la liberté du demandeur, et, d’autre part, les exigences afférentes à la protection de la sécurité nationale et de l’ordre public » (pt 70).
Sachant que, d’un point de vue théorique, le placement en rétention respecte les exigences afférentes à l’existence d’une ingérence, la Cour se penche enfin sur les circonstances du cas d’espèce afin d’apprécier si, dans les faits, le placement ordonné est conforme au principe de proportionnalité et que les motifs pour lesquels celui-ci a été ordonné existent toujours (pt 73).
En réalité, la Cour de justice va un peu plus loin qu’un simple examen de validité. En effet, elle apporte des précisions quant à l’interaction entre la directive 2013/32 qui fixe les procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale et la directive accueil. En outre, la Cour spécifie ce que commande l’effet utile de la directive 2008/115 qui établit les normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
Enfin, la Cour constate la conformité du niveau de protection conféré par l’article 8 de la directive accueil avec le niveau de protection contenu à l’article 5 de la CEDH. Cet exposé permet à la Cour de conclure à la validité de l’article 8, paragraphe 3, alinéa 1, sous e) de la directive accueil au regard des articles 6 et 52, paragraphes 1 et 3, de la Charte.
Margaux Biermé, « Placement en rétention d’un demandeur d’asile jugé conforme à la Charte et à la CEDH », Actualité du 24 février 2016, disponible sur www.ceje.ch