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L’article 27 de la Charte n’est pas invocable dans les relations entre personnes privées

Araceli Turmo , 16 janvier 2014

L’affaire Association de médiation sociale (C-176/12) a permis à la Cour de justice de préciser la portée des droits fondamentaux dans les relations entre personnes privées. L’arrêt rendu le 15 janvier 2014 porte sur l’invocabilité de l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux dans un litige opposant une association, personne de droit privé, à plusieurs parties représentant un syndicat, la Confédération générale du travail (CGT).

La CGT a désigné un représentant d’une section syndicale créée au sein de l’association de médiation sociale (AMS), association de réinsertion dont l’effectif est de moins de onze salariés selon les règles de calcul établies par le code du travail français. Sont en effet décomptés les travailleurs bénéficiant de contrats aidés. L’AMS conteste donc cette désignation sur la base d’une disposition nationale exonérant les établissements de moins de onze salariés de l’obligation de nommer des représentants syndicaux. L’argument du syndicat, selon lequel ce mode de calcul des effectifs est contraire au droit de l’Union européenne, avait été accueilli en première instance. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation française a interrogé la Cour de justice sur l’invocabilité des dispositions de droit de l’Union pertinentes, et sur la conformité du droit national applicable à ces dernières.

Les défendeurs au pourvoi invoquaient la directive 2002/14, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs, ainsi que l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux. La Cour de justice évalue, dans un premier temps, la conformité de la disposition nationale litigieuse à la directive. Cette dernière ne permet pas aux États membres d’exclure du calcul des effectifs de l’entreprise une catégorie de travailleurs, dès lors que cela a pour effet de soustraire certains employeurs à leurs obligations et de priver lesdits travailleurs des droits d’information et de représentation que la directive vise à protéger. La justification mise en avant par le gouvernement français, selon lequel cette mesure viserait à promouvoir l’emploi, constitue un objectif légitime mais se heurte à l’effet utile de la directive, tel qu’exposé en son article 11.

La règle invoquée par les défendeurs, concernant l’obligation de prendre en compte tous les travailleurs dans ce calcul, est clairement suffisamment inconditionnelle et précise pour produire un effet direct vertical. La difficulté, relevée par la Cour de cassation elle-même, découle en l’espèce du caractère privé de la relation juridique en cause. Or, en vertu d’une jurisprudence constante, les directives ne sont pas susceptibles d’avoir un effet direct horizontal, et donc de justifier l’inapplication de la loi nationale. Au surplus, l’incompatibilité évidente de la disposition litigieuse avec le droit de l’Union européenne ne peut être résolue par une interprétation conforme.

Les défendeurs avaient donc cherché à s’appuyer sur la motivation de l’arrêt Kücükdeveci (C-555/07), demandant au juge national d’écarter la disposition litigieuse sur le fondement de l’article 27 de la Charte, seul ou en combinaison avec les dispositions de la directive. La Cour de justice admet l’applicabilité de l’article 27 dans l’affaire au principal, dès lors que la loi nationale vise à mettre en œuvre la directive 2002/14. Cependant, elle considère que, contrairement au principe de non-discrimination invoqué dans Kücükdeveci, l’article 27 ne crée pas, en lui-même, un droit subjectif dans le chef des particuliers. Il ne saurait donc être invoqué afin d’écarter une règle nationale contraire.

Notons que l’avocat général Cruz Villalónavait retenu une solution différente, estimant que l’article 27 de la charte, combiné avec les dispositions de la directive qui en concrétisent le contenu, devait être invocable dans un litige tel que celui en cause au principal. La Cour, refusant de reconnaître un effet direct horizontal au droit fondamental garanti par l’article 27, ne laisse plus aux défendeurs au pourvoi que le recours en responsabilité de l’État, fondé sur la jurisprudence Francovich (C-6/90).


Araceli Turmo, « L’article 27 de la Charte n’est pas invocable dans les relations de droit privé », www.unige.ch/ceje, Actualité du 16 janvier 2014.