Lors du Sommet de Varsovie en mai 2005, les Chefs d’Etats et de Gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe ont décidé dans leur plan d’action de mettre en place un Groupe des Sages pour examiner la question de l’efficacité à long terme du mécanisme de contrôle de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). (Voir notre actualité du 22 novembre 2005). Sous la présidence de Gil Carlos Rodriguez Iglesias, le Groupe a élaboré des propositions pour faire face à l’explosion du contentieux (89’000 affaires pendantes devant la Cour à la fin du mois de septembre 2006). Le rapport a été rendu public le 4 décembre 2006 par le Conseil de l’Europe.
Divisé en trois parties, le rapport décrit à titre liminaire la constitution et les travaux du Groupe des Sages. La première partie donne un aperçu des moyens de protection des droits fondamentaux dans le cadre du Conseil de l’Europe. Le Groupe souligne à cet égard l’importance de la CEDH et le caractère unique du droit de recours individuel consacré par les articles 34 et 35 CDEH. Il met l’accent sur la nécessité d’élaborer un plan d’action afin de prévenir une paralysie qui menace le système de contrôle vu l’augmentation exponentielle du nombre des requêtes individuelles introduites devant la Cour.
La deuxième partie du rapport propose des mesures concrètes de réforme du système. Ces mesures concernent la structure et la modification du mécanisme juridictionnel, les rapports entre la Cour et les Etats parties à la CEDH, les moyens alternatifs ou complémentaires à la solution juridictionnelle et le statut institutionnel de la Cour et des juges. Elles sont articulées en dix points :
Sur la structure et la modification du mécanisme juridictionnel
1. Assouplissement de la procédure de réforme du mécanisme juridictionnel
Le Groupe estime qu’il est impératif de rendre plus flexible le système judiciaire de la Convention. Cet objectif pourrait être réalisé par la voie d’une modification de celle-ci qui autoriserait le Comité des ministres à effectuer des réformes au moyen des résolutions prises à l’unanimité sans qu’une modification de la Convention soit nécessaire à chaque fois. Cette méthode permettrait d’assouplir le système judiciaire de la Convention à de nouvelles circonstances par une procédure simplifiée.
2. Etablissement d’un nouveau mécanisme de filtrage judiciaire
Selon le Groupe, il conviendrait de créer une instance de filtrage judiciaire adjointe à la Cour, mais distincte de celle-ci. Appelée « Comité judiciaire », elle aurait pour but de connaître de toute requête soulevant des problèmes de recevabilité et de toute affaire susceptible d’être décidée sur la base d’une jurisprudence de la Cour bien établie en vertu de laquelle une requête est déclarée soit manifestement bien fondée, soit manifestement mal fondée. La compétence du Comité judiciaire pour statuer sur des affaires au fond impliquerait, en ce qui concerne ces affaires, les mêmes compétences que celles de la Cour en matière de satisfaction équitable.
Il n’y aurait pas de possibilité de pourvoi contre les décisions du Comité judiciaire, toutefois la Cour aurait la possibilité exceptionnelle de se saisir d’office du réexamen de toute décision adoptée par le Comité. Le Comité judiciaire serait placé sur le plan institutionnel et administratif sous l’autorité de la Cour. Ses membres devraient jouir de toutes les garanties d’indépendance et de la plus haute considération morale. Les qualifications professionnelles et les connaissances des candidats devraient être appréciées par la Cour dans un avis préalable à leur élection par l’Assemblée parlementaire.
Sur les rapports entre la Cour et les Etats parties à la Convention
3. Renforcement de l’autorité de la jurisprudence de la Cour dans les Etats parties
Le Groupe souligne l’importance de la diffusion de la jurisprudence de la Cour dans les États parties et de la reconnaissance de son autorité au-delà de l’effet obligatoire de l’arrêt à l’égard des parties. Il recommande que les arrêts de principe et ceux considérés par la Cour comme importants fassent l’objet de la plus grande diffusion dans les États parties.
4. Modalités de coopération entre la Cour et les juridictions nationales - Avis consultatifs
Le Groupe estime qu’il serait utile d’instaurer un régime dans le cadre duquel les juridictions nationales pourraient saisir la Cour de demandes d’avis consultatif sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses protocoles, de manière à favoriser le dialogue entre les juges et à renforcer le rôle « constitutionnel » de la Cour. Une telle demande d’avis, posée uniquement par les juridictions de dernière instance et les juridictions constitutionnelles serait toujours facultative et l’avis rendu par la Cour n’aurait pas de caractère obligatoire.
Examinant à cet égard l’instauration d’un mécanisme préjudiciel selon le modèle existant au sein de l’Union européenne, le Groupe est arrivé à la conclusion qu’un tel régime ne se prêtait pas à une transposition au Conseil de l’Europe. En effet, le mécanisme préjudiciel constitue un modèle alternatif à celui du contrôle judiciaire établi par la Convention, qui présuppose l’épuisement des voies de recours internes. La superposition des deux systèmes poserait des problèmes juridiques et pratiques non négligeables et aurait pour conséquence une surcharge considérable de la Cour.
5. Renforcement des voies de recours internes pour la réparation des violations de la Convention
Le Groupe met l’accent sur la nécessité de renforcer les voies de recours internes pour la réparation des violations des droits reconnus par la CEDH. Il s’agit de prévenir des violations qui découlent de défaillances structurelles ou générales dans le droit ou la pratique de l’Etat.
6. L’octroi d’une satisfaction équitable
Afin de décharger la Cour et le Comité judiciaire de tâches qui pourraient être assumées d’une manière plus efficace par des instances nationales, le Groupe propose que lorsque la Cour ou le Comité juge que la victime doit recevoir une compensation, la fixation du montant de celle-ci soit renvoyée à l’Etat concerné. Le montant de la compensation devrait toutefois être conforme aux critères établis par la jurisprudence de la Cour.
7. La procédure "arrêt pilote"
Le Groupe encourage la Cour à faire usage de la procédure de l’ "arrêt pilote". En fonction de l’expérience acquise dans la pratique, il conviendrait à l’avenir d’examiner si le dispositif juridictionnel existant, y compris le règlement de procédure de la Cour, suffira pour que ce modèle puisse produire les résultats souhaités ou s’il y a lieu d’envisager une réforme conventionnelle en la matière.
Sur les moyens alternatifs ou complémentaires à la solution juridictionnelle
8. Règlements amiables et médiation
Le Groupe estime qu’afin de décharger la Cour, il convient d’encourager le recours à la médiation au niveau national lorsqu’une affaire recevable se prête à une telle solution. Un tel mode de règlement serait subordonné à l’accord des parties.
9. Élargissement des fonctions du Commissaire aux droits de l’homme
Le Groupe considère que le Commissaire devrait disposer des moyens nécessaires afin de pouvoir jouer un rôle plus actif dans le système de contrôle de la Convention en agissant soit seul, soit en coopération avec les organes non judiciaires européens et nationaux. En particulier, le Commissaire devrait réagir activement aux informations résultant des décisions de la Cour d’où résulte un constat de graves violations des droits de l’homme. Le Commissaire pourrait également prêter son concours aux mécanismes de médiation existants dans les États. En effet, de par son mandat, le Commissaire favorise l’action des médiateurs nationaux et des organes équivalents.
Sur le statut institutionnel de la Cour et des juges
10. La dimension institutionnelle du mécanisme de contrôle
Le Groupe a considéré que le cadre juridique existant doit offrir toutes les garanties indispensables afin d’assurer l’indépendance des juges. A cet égard, il considère comme impérative la mise en place d’un régime de sécurité sociale (couverture pour frais médicaux et bénéfice d’une pension).
Les qualifications professionnelles et les connaissances linguistiques des candidats à la fonction de juge devraient être soigneusement examinées au cours de la procédure d’élection.
Le Groupe s’est penché également sur la question particulièrement délicate du nombre de juges. De l’avis du Groupe, la logique même du nouveau rôle souhaité pour la Cour et la création du Comité judiciaire devraient aboutir, le moment venu, à une réduction du nombre des juges.
Enfin, dans l’intérêt du renforcement de l’indépendance et de l’efficacité de la Cour, le Groupe recommande de lui accorder la plus grande autonomie de fonctionnement, en ce qui concerne notamment la présentation et la gestion de son budget ainsi que la nomination, l’affectation et la promotion de son personnel.
La troisième partie du rapport présente un résumé des mesures proposées.
En mars 2007, un colloque, organisé à Saint-Marin, donnera lieu à un débat multilatéral sur les développements futurs de la Cour à la lumière du rapport des Sages.
Reproduction autorisée avec indication : Beata Jastrzebska, "Efficacité de la Cour européenne des droits de l’homme : rapport du Groupe des Sages", www.ceje.ch, actualité du 12 décembre 2006.