Dans son arrêt du 9 juillet 2015 (aff. C-153/14), la Cour de justice était saisie d’un renvoi préjudiciel en interprétation de l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 du Conseil relative au droit au regroupement familial. Cet article, inclus dans le chapitre IV de la directive relatif aux conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial, précise que les États membres peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu’ils se conforment aux mesures d’intégration dans le respect du droit national.
Le Conseil d’État néerlandais se demandait si la législation néerlandaise qui soumet les ressortissants d’État tiers, demandeurs d’un regroupement familial, à une obligation d’examen d’intégration civique consistant en un test de connaissances linguistiques et un test de connaissance de la société néerlandaise avant l’arrivée aux Pays-Bas est compatible avec l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86, sachant que les documents pour la préparation et les frais d’inscription à l’examen s’élèvent au total à 460 euros.
Les litiges au principal opposaient des ressortissantes d’États tiers; l’une azerbaidjanaise, l’autre nigériane; ayant introduit des demandes d’autorisation de séjour provisoire au titre du regroupement familial pour séjourner aux Pays-Bas avec leurs conjoints, résidents de cet État membre. Elles invoquaient toutes les deux des problèmes de santé rendant impossible la présentation à l’examen. Les demandes d’autorisation de séjour ont été rejetées par le Ministère du logement, des quartiers, et de l’intégration néerlandais. Suite à leurs réclamations, le Ministère a confirmé sa position au motif que leurs problèmes de santé ne donnaient pas lieu à une dispense de l’obligation de réussite à l’examen d’intégration civique et, pour la ressortissante nigériane, qu’elle ne pouvait pas bénéficier de la clause d’équité prévue par la législation néerlandaise au motif qu’elle n’avait pas fourni la preuve d’avoir fait des efforts raisonnables pour réussir l’examen d’intégration civique.
La Cour de justice se pose donc la question de savoir si l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens que les États membres peuvent exiger des ressortissants d’États tiers qu’ils réussissent un examen d’intégration civique, tel que celui en cause au principal, comprenant l’évaluation d’une connaissance élémentaire tant de la langue que de la société de l’État membre concerné et impliquant le paiement de divers frais, avant d’autoriser l’entrée et le séjour desdits ressortissants sur leur territoire aux fins du regroupement familial.
La Cour de justice constate, dans un premier temps, que l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 ne s’oppose pas à ce que les États membres subordonnent l’octroi de l’autorisation d’entrée sur leur territoire aux membres de la famille du regroupant au respect par ceux-ci de certaines mesures préalables d’intégration. Elle précise cependant que cet article étant d’interprétation stricte, les États membres ne peuvent s’en servir pour imposer des conditions qui porteraient atteinte à l’objectif de cette directive, qui est de favoriser le regroupement familial, ainsi qu’à l’effet utile de celui-ci. En ce sens, les moyens mis en œuvre au niveau national doivent être aptes à réaliser les objectifs visés par cette réglementation et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. Dans le cas de l’article 7, cela signifie que les mesures d’intégration ne seront considérées comme légitimes que si elles permettent de faciliter l’intégration des membres de la famille du regroupant dans l’État membre d’accueil.
En l’espèce, la Cour de justice reconnaît que la connaissance de la langue et de la société de l’État membre d’accueil favorise l’interaction entre les ressortissants d’États tiers et les nationaux. De plus, ces connaissances permettent de rendre moins difficile l’accès des ressortissants d’États tiers au marché du travail. Ainsi, la Cour de justice souligne que l’obligation de réussir un examen d’intégration civique présente une utilité pour l’intégration dans l’État membre d’accueil et, compte tenu du niveau de connaissances élémentaires attendu pour réussir l’examen, ne porte pas en elle-même atteinte à l’objectif du regroupement familial.
Toutefois, la Cour nuance, dans un second temps, son raisonnement et analyse la proportionnalité de la législation néerlandaise. Une obligation, telle que celle en cause au principal, irait au-delà de ce qui est nécessaire si l’application de l’obligation empêchait de manière automatique le regroupement familial des membres de la famille du regroupant lorsque, tout en ayant échoués à l’examen d’intégration, ceux-ci ont apporté la preuve de leur volonté de réussir cet examen et des efforts qu’ils ont déployés à cette fin. Elle précise que les mesures d’intégration prévues à l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 doivent avoir pour but non pas de sélectionner les personnes qui pourront exercer leur droit au regroupement familial mais bien de faciliter leur intégration dans l’État membre. Après avoir souligné que les circonstances individuelles particulières, telles que l’âge, le niveau d’éducation, la situation financière ou l’état de santé des ressortissants doivent être prises en considération dans le cadre d’éventuelles dispenses à l’examen, la Cour de justice constate que la loi néerlandaise n’autorise de telles dispenses qu’en cas d’handicap mental ou physique ou par le recours à une clause d’équité. Celle-ci s’applique si, par suite d’une combinaison de circonstances individuelles très particulières, le ressortissant concerné n’est durablement pas en mesure de réussir l’examen d’intégration. Or, pour la Cour de justice, cette clause ne permet pas de dispenser, compte tenu des circonstances individuelles particulières, de la réussite à l’examen dans tous les cas de figure où le maintien de cette obligation rendrait impossible ou excessivement difficile le regroupement familial.
En ce qui concerne les frais d’inscription à l’examen, la Cour de justice précise que si les États membres sont autorisés à imposer des frais afférents aux mesures d’intégration, les montants de ceux-ci ne peuvent avoir pour objet ou pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit au regroupement familial. C’est le cas lorsque les frais en cause sont excessifs au regard de l’incidence financière sur les ressortissants d’États tiers concernés. En l’espèce, la Cour de justice constate que les frais sont à la charge des membres de la famille du regroupant et s’élèvent, pour la préparation du dossier, à 110 euros, et pour les frais d’inscription à l’examen, à 350 euros. Ces montants sont susceptibles de rendre impossible ou excessivement difficile le regroupement familial.
La Cour de justice rend un arrêt très mesuré puisque tout en laissant une marge de manœuvre certaine aux États membres quant aux mesures d’intégration imposées aux ressortissants d’États tiers dans le cadre du regroupement familial, elle indique clairement que ces mesures ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de la directive qui est de favoriser le regroupement familial.
Lucie Vétillard, "Acceptation de mesures d’intégration préalables au regroupement familial de ressortissants d’États tiers dans l’Union", actualité du 10 juillet 2015, www.ceje.ch