La Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt le 29 septembre 2011 relatif aux règles d’imputabilité d’une infraction à la société mère du fait de sa filiale (C-521/09). Conformément à une jurisprudence constante, la Commission est fondée à adresser une amende à la société mère pour le comportement anticoncurrentiel de sa filiale dès lors qu’elles constituent une même entreprise (Point 88 de l’arrêt).
Il y avait donc lieu de s’interroger sur les conditions à remplir pour qu’une société mère puisse voir sa responsabilité engagée consécutivement à la violation du droit des ententes par sa filiale.
Le 27 avril 2005, la société Elf Aquitaine SA a introduit un recours en annulation contre la décision de la Commission lui infligeant une amende s’élevant à 45 millions d’euros à titre de responsabilité conjointe et solidaire. Le Tribunal rejeta alors les moyens soulevés par la société Elf Aquitaine SA en confirmant l’amende infligée comme le prévoit l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence désormais prévues aux articles 101 et 102 Traité FUE. La société Elf Aquitaine SA forma ensuite un pourvoi afin de demander l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance du 30 septembre 2009, Elf Aquitaine c. Commission (T-174/05).
La question de l’imputabilité à la société mère d’une amende du fait de sa filiale repose traditionnellement sur des indices concordants. La Cour réaffirme que le principe de responsabilité personnelle ne s’oppose pas à ce que la Commission envisage d’abord de sanctionner la société auteure d’une infraction aux règles de la concurrence avant d’imputer éventuellement celle-ci à la société mère.
Il est de jurisprudence constante que la personnalité juridique distincte de la société fille est insuffisante à écarter l’imputabilité de son comportement à la société mère, d’autant plus lorsque la filiale ne détermine pas sa ligne d’action sur le marché en suivant les instructions de la société mère (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI c. Commission, 48/69, Rec. p. 619, points 132 et 133 ; Geigy c. Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 44, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags c. Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, point 26).
Le faisceau d’indices inclut le taux de participation de la société mère dans le capital de la filiale. Celui-ci s’avère être un élément pertinent quant à l’exercice d’un pouvoir d’influence de la société tête de groupe sur le comportement de sa filiale sur le marché considéré (points 131 et 132 de l’affaire T-109/02, Bolloré SA c. Commission).
La société Elf Aquitaine SA soulève plusieurs moyens à l’appui de sa prétention. Les deuxième et troisième moyens soulevés sont tirés d’une insuffisance de motivation entachant la décision litigieuse.
Donc, le Tribunal aurait du constater que la motivation de la décision de la Commission était insuffisante.
Ses poursuites reposèrent en effet exclusivement sur une présomption de responsabilité non confortée par le moindre élément factuel, se révélant impossible à renverser (point 135 de l’arrêt). La société Elf Aquitaine SA précise que les éléments du faisceau d’indices pris dans son ensemble n’ont pas été appréciés. L’arrêt du 10 septembre 2009 Akso Nobel e.a. c. Commission (C-97/08 P, point 65) est cité en référence à l’appui de son pourvoi. La société Elf Aquitaine SA argumente en ce sens en démontrant que les liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle et sa filiale ne permettent pas d’en déduire une entité économique unique (point 47 de l’arrêt du 29 septembre 2011). Les indices qui auraient donc permis de renverser la présomption selon laquelle la société mère serait l’instigatrice du comportement de sa filiale Atofina étaient réfutés.
En l’espèce, la Commission s’appuie sur la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société Elf Aquitaine SA car cette dernière détient 98 pour cent des actions dans Atofina. Mais elle est tenue d’exposer de manière adéquate à ses destinataires les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués n’ont pas suffi à renverser ladite présomption (point 153 de l’arrêt).
L’exigence de motivation doit être appréciée compte tenu des arguments invoqués par la société Elf Aquitaine SA. Tant au plan de l’organisation interne du groupe de sociétés que dans son rapport avec les tiers, cette dernière faisait donc valoir son rôle de holding sans fonctions opérationnelles.
Le caractère réfragable de la présomption requiert in fine de permettre à toute société mère de renverser celle-ci en produisant des preuves portant sur les liens économiques, organisationnels et juridiques entre cette dernière et sa filiale.
En conséquence, l’arrêt annule la décision litigieuse en tant qu’elle impute à la société Elf Aquitaine SA, sans motivation adéquate, l’infraction en question.
Reproduction autorisée avec l’indication: Bouillot Christophe, "Rappel du caractère réfragable de la présomption de responsabilité de la société mère pour le comportement anticoncurrentiel de sa filiale", www.ceje.ch, actualité du 20 octobre 2011.