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Réseaux de distribution et internet : l’affaire Pierre Fabre (C-439/09)

Andras Palasthy , 28 septembre 2010

Depuis 2006, l’entreprise Laboratoires Pierre Fabre, un fabricant de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle haut de gamme, refuse d’autoriser ses distributeurs agréés en France (soit des pharmacies) à écouler ses produits au moyen d’internet. L’autorité de la concurrence française a entre temps formellement constaté une infraction à l’interdiction des ententes restrictives de concurrence prévue par le droit français et le droit européen et a infligé une amende. L’affaire, qui est actuellement pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne (aff. C-439/09), constituera sans doute un important précédent sur l’usage d’internet comme canal de distribution dans des secteurs, comme celui des produits de luxe, mais aussi celui de certains produits techniques, qui privilégient souvent la revente dans des magasins « en dur », soit un contact direct du client avec du personnel de vente particulièrement qualifié.

L’usage d’internet était aussi au centre des débats qui ont précédé la récente adoption par la Commission européenne du règlement n° 330/2010 sur l’exemption par catégories d’accords dits verticaux. Depuis le 1er juin 2010, l’évaluation au titre du droit de la concurrence des accords de distribution entre fournisseurs et revendeurs de produits et services est régie par ce règlement.

Le règlement et la pratique effectuent une distinction capitale entre deux types de réseaux de distribution, les réseaux dits « exclusifs » et les réseaux dits « sélectifs ». Dans un contrat exclusif, le distributeur se voit allouer un territoire de vente dans lequel il jouit - par des clauses appropriées - d’un certain degré de protection contre les actes de concurrence du fournisseur et des autres membres du réseau. Dans les réseaux sélectifs, qui sont prisés par le secteur du luxe et pour certains produits techniques, les distributeurs, sans se voir formellement allouer une zone d’exclusivité, sont choisis selon des critères qui limitent généralement sensiblement le nombre de points de vente (par exemple magasins situés dans des lieux compatibles avec l’image de prestige attachée au produit).

S’agissant de réseaux exclusifs, la Commission européenne autorise en principe les clauses interdisant à un distributeur d’effectuer des ventes actives dans la zone d’exclusivité d’un autre distributeur. Par « ventes actives », on entend le fait de prospecter des clients individuels hors zone. La Commission condamne en revanche les clauses qui restreignent les ventes passives, soit le fait de satisfaire à des demandes non sollicitées de clients individuels. Considérant qu’internet constitue en règle générale une forme de vente passive, elle estime que tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet. La Commission reconnaît cependant que l’utilisation d’internet peut être licitement limitée lorsqu’elle conduit à des ventes actives (par exemple publicité spécifiquement adressée à des clients relevant d’une autre zone d’exclusivité).

S’agissant de réseaux sélectifs, la Commission défend une ligne plus dure selon laquelle l’usage d’internet ne saurait être interdit, peu importe qu’il conduise à des ventes passives ou actives. Pour empêcher des ventes à des distributeurs non agréés, elle reconnaît néanmoins la licéité des modalités visant à empêcher la vente de quantités excessives à un acheteur on-line. L’entreprise Pierre Fabre et, avec elle, une partie du secteur du luxe, estime en revanche que le règlement d’exemption par catégories doit s’interpréter en ce sens que le fournisseur devrait pouvoir totalement exclure l’usage d’internet par ses distributeurs agréés. Dans le cas d’espèce, elle estime que l’interdiction d’internet n’a pas d’objet anticoncurrentiel, mais vise seulement à assurer une garantie de haut niveau de service aux consommateurs, s’agissant de produits qui impliquent une observation directe de la peau et du cuir chevelu du client.

S’agissant de branches de l’économie pour lesquelles l’augmentation du nombre de canaux et de points de vente ne se situe pas au cœur de la stratégie de distribution, la réponse que la Cour de justice devrait bientôt donner dans l’affaire Pierre Fabre va être déterminante pour la structuration des réseaux de distribution. Cette problématique doit bien entendu être distinguée de celle des mesures que les titulaires de marques peuvent prendre à l’encontre de revendeurs tiers qui s’approvisionnent sur le marché gris et distribuent les produits concernés par le biais d’internet. A ce propos, dans une autre affaire récente relevant du droit des marques et de la directive e-commerce (directive 2000/31), opposant le malletier français Louis Vuitton à Google (aff. jointes C-236/08 à C-238/08), la Cour de justice a mis en évidence que, s’il apparaît probablement difficile d’attaquer les fournisseurs d’accès (ISP) et exploitants de moteur de recherche, les annonceurs peuvent quant à eux être attaqués lorsque leurs messages publicitaires créent un risque de confusion quant à des liens éventuels avec le titulaire de la marque.


Reproduction autorisée avec l'indication: Andras Palasthy, "Réseaux de distribution et internet : l’affaire Pierre Fabre (C-439/09)", www.ceje.ch, actualité du 28 septembre 2010.

Catégorie: Concurrence