Le 1er juillet 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (la Cour) a rendu un arrêt (C-407/08) par lequel elle maintient l’amende de 85,8 millions d’euros, infligée à la Knauf Gips KG pour son comportement anticoncurrentiel sur le marché des plaques en plâtre. Dans cet arrêt, la Cour répond à plusieurs questions qui lui ont été posées dans le cadre d’un recours en annulation. Nous sommes particulièrement intéressés par son analyse des notions d’entreprise et d’unité économique. L’examen de la responsabilité d’une société pour les actes commis par l’unité économique dont elle fait partie est au centre de l’arrêt.
La Commission avait infligé, le 27 novembre 2002, une amende d’un montant total d’environ 478 millions d’euros aux entreprises Lafarge, Gyproc, BPB et Knauf Gips KG. Ces entreprises s’étaient comportées de manière anticoncurrentielle en échangeant des informations relatives aux volumes de ventes et en convenant les hausses des prix. Entre les années 1992 et 1998, ces entreprises s’étaient réunies régulièrement avec l’objectif de répartir et de stabiliser les marchés de plaques à plâtre en Allemagne, au Royaume-Uni, en France et au Benelux. La demande d’annuler la décision, introduite par la Knauf Gips KG (Kommanditgesellschaft, société en commandite), avait été rejetée par le Tribunal de première instance (le Tribunal), le 8 juillet 2008. L’amende infligée par la Commission européenne (la Commission) avait ainsi été confirmée par le Tribunal.
La Cour suit les conclusions de l’avocat général, Monsieur Mazák, et annule l’arrêt du Tribunal dans la mesure où la responsabilité des infractions commises par les sociétés constituant le groupe Knauf est imputée à Knauf Gips KG. Au surplus, elle rejette le pourvoi. La Knauf Gips KG a considéré que le Tribunal avait commis une erreur en concluant qu’elle constituerait, ensemble avec la société Gebrüder Knauf Verwaltungsgesellschaft KG (GKV) et avec ses filiales, une unité économique. Elle a aussi contesté la conclusion du Tribunal, selon laquelle la responsabilité des agissements du groupe Knauf pouvait lui être imputée.
Dans un premier temps, la Cour rappelle que « le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement ». Elle précise que l’existence de cette unité économique « peut être déduite d’un faisceau d’éléments concordants » et conclut que l’ensemble des éléments retenus par le Tribunal suffit à déduire l’unité économique des sociétés.
Les éléments respectivement examinés sont les suivants : les associés des sociétés sont les mêmes ; les associés gestionnaires de Knauf Gips AG sont aussi les gestionnaires de toutes les autres sociétés ; GKV détient des participations dans plusieurs sociétés actives sur le marché des plaques en plâtre contrôlés par la famille Knauf ; il y a un contrat familial qui a pour objet d’assurer une direction et une gestion unique des sociétés du groupe Knauf et qui doit garantir un exercice unique et concentré des droits des sociétés dans l’ensemble du groupe, soit l’adoption de décisions concernant la direction, la gestion, l’organisation et la forme juridique de la société ; l’ensemble des chiffres de ventes de la requérante dans le cadre de l’infraction en cause se rapportait à l’ensemble des sociétés du groupe Knauf ; la Knauf Gips KG avait transmis la totalité du chiffre d’affaires du groupe Knauf.
La Cour se prononce ensuite sur la responsabilité de Knauf Gips KG. Le Tribunal avait estimé que Knauf Gips KG aurait dû démontrer au cours de la procédure administrative sous peine de ne plus pouvoir le faire plus tard, que l’infraction commise par le groupe Knauf ne pouvait pas lui être imputé. Cependant, la Cour constate que cela n’est pas prévu par les articles 81 et 82 CE, devenus les articles 101 et 102 FUE. En l’absence de base légale, une telle limitation serait par conséquent « contraire aux principes fondamentaux de légalité et de respect des droits des la défense ». En conséquence, la Cour estime que le Tribunal a ainsi commis une faute de droit et annule l’arrêt du Tribunal en ce que celui-ci avait considéré que Knauf Gips KG était responsable de l’action du groupe Knauf.
Finalement, la Cour statue elle-même définitivement sur le litige et examine « le rôle de la société Knauf Gips KG » au sein du groupe Knauf. Il s’agit de savoir le Commission aurait dû imputer la responsabilité pour les infractions à GKV, laquelledétient directement ou indirectement des dizaines de sociétés dont beaucoup sont actives sur le marché. Toutefois, la Cour estime que GKV dépend de Knauf Gips KG en ce qui concerne son comportement sur le marché, même en l’absence d’un lien de subordination entre GKV et Knauf Gips KG. GKV n’est qu’une « société holding » qui gère les sociétés qu’elle détient. De plus, GKV dépend de Knauf Gips KG pour les locaux et pour le personnel et la plupart des documents du groupe Knauf qui ont été saisis sont rédigés sur du papier à en-tête de la requérante, Knauf Gips KG. Par conséquent, la Cour décide que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation en jugeant Knauf Gips KG responsable de l’ensemble des agissements du groupe Knauf.
Ainsi, cet arrêt rendu par la Cour confirme sa jurisprudence établie sur la responsabilité pour les infractions commises au sein d’une unité économique. Toutefois, l’annulation d’une partie de la décision du Tribunal est un signe de son souci de sauvegarder la sécurité juridique. Dans cet esprit, il serait peut-être préférable de codifier les critères établis par la jurisprudence.
Reproduction autorisée avec indication : Anicée Lay, "Responsabilité des infractions commises par l’unité économique", www.ceje.ch, actualité du 20 juillet 2010.