fb-100b.png twitter-100.pnglinkedin-64.png | NEWSLETTER  |  CONTACT |

Arrêt Schneider Electric : la responsabilité non contractuelle de la Communauté en matière de contrôle des concentrations d’entreprises

Pranvera Këllezi , 20 juillet 2007

Dans un arrêt du 11 juillet 2007 (affaire T-351/03, Schneider Electric), le Tribunal de première instance a jugé que la responsabilité non contractuelle de la Communauté est engagée en raison d’une violation suffisamment caractérisée des règles sur le contrôle des concentrations d’entreprises. Au cœur de cette affaire se trouve l’offre publique d’échange (OPE) lancé par Schneider sur les titres de Legrand, les deux sociétés étant actives dans le secteur d’appareillage électrique. En février 2001, Schneider ouvre l’OPE et notifie l’opération à la Commission européenne, qui procède à une enquête approfondie. L’OPE a été clôturé avant la prise de la décision finale. Début août 2001, la Commission envoie une communication des griefs à Schneider. Quelques jours plus tard, la Commission française des opérations de bourse rend un avis définitif et Schneider recueille 98 % des actions de Legrand. En octobre 2001, la Commission européenne interdit cette opération. Elle ordonne à Schneider de se séparer de ses actifs dans Legrand afin de restaurer la concurrence effective. Schneider fait recourt contre la décision d’interdiction, mais est obligée en juillet 2002 de céder ses actifs dans Legrand.

La procédure prend une tournure intéressante avec l’annulation par le TPI, en octobre 2002 (arrêt Schneider I, affaire T-310/01), de la décision de la Commission européenne interdisant l’opération, décision qui constitue la base de l’injonction faite à Schneider de se séparer des actifs de Legrand. Schneider réclame le remboursement du préjudice subi par elle au cours de cette dernière procédure ainsi que le remboursement de divers frais encourus.

Le Tribunal prend soin de rappeler les conditions auxquelles est subordonné l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en vertu de l’article 288 CE. En premier lieu, le comportement de l’institution, en l’occurrence la Commission européenne, doit être illégal. En deuxième lieu, il doit y avoir un dommage. Enfin, il doit y avoir un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué.

En l’espèce, pour considérer qu’un acte juridique adopté par la Commission est illégal au sens de l’article 288 CE, il doit être constitutif d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. A cet égard, le critère décisif consiste dans la « méconnaissance manifeste et grave, par une institution communautaire, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation ». Plus ce dernier est large, plus difficile est pour la partie qui met en cause la responsabilité de prouver un lien de causalité entre l’illégalité de l’acte et le préjudice causé.

Schneider soutient que les erreurs constatées par l’arrêt Schneider I de 2002 au niveau de l’appréciation de l’impact de l’opération sont constitutives d’une violation suffisamment caractérisée. Ce moyen est rejeté par le Tribunal qui suit un raisonnement ambigu : après quelques observations générales et confuses sur la question de savoir si la règle violée - en l’occurrence le règlement n°139/2004 - confère des droits aux particuliers, il se contente de constater que les erreurs d’appréciation n’étaient pas suffisants pour déclarer l’opération incompatible. Il rappelle ensuite que la décision de la Commission européenne a été invalidée pour cause de violation des droits de la défense de Schneider.

C’est sur ce dernier grief que le Tribunal donne raison à Schneider. Le Tribunal prend soin de rappeler le devoir de la Commission européenne de donner aux entreprises notifiantes l’occasion de faire connaître utilement leur point de vue, en soulignant que ce droit relève des garanties fondamentales de l’ordre juridique communautaire. Il précise que, à cette fin, les entreprises doivent être informées de manière claire et en temps utile de l’essentiel des objections de la Commission à l’égard de l’opération en question, ce qui n’était pas le cas en espèce. Il constate, par conséquent, une violation d’une règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. C’est toutefois le raisonnement subséquent qui surprend dans son articulation et surtout ses conséquences : le Tribunal estime que, le fait pour la Commission d’avoir rédigé une communication des griefs de telle manière que Schneider « ne pouvait pas savoir que, à défaut de présenter des mesures correctives [...] elle n’avait aucune chance d’obtenir que l’opération soit déclarée compatible avec le marché commun », constitue une violation suffisamment caractérisée, partant une faute de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Un tel raisonnement nous semble étonnant, d’autant plus que le règlement n° 139/2004 prévoit qu’en présence de problèmes concurrentiels, il incombe aux parties de présenter des mesures correctives capables de résoudre lesdits problèmes ; lorsque les problèmes identifiés ne peuvent être éliminés, la Commission européenne doit interdire l’opération de concentration. Autrement dit, la conséquence juridique de l’absence d’engagements est clairement annoncée dans le règlement lui-même.

Il convient de souligner, cependant, que le vice formel était d’un autre ordre, ce qui est indiqué plus loin dans l’arrêt du Tribunal en relation avec un autre point : il semble que la communication des griefs avait omis de formuler avec suffisamment de clarté et de précision le renforcement de la position de Schneider dans le secteur de la distribution de matériel électrique basse tension en France. Selon le Tribunal, Schneider n’a pas été en mesure de se défendre et d’offrir des engagements. A cet égard, il n’est pas sans intérêt de signaler que le conseiller-auditeur avait rejeté cette prétention de Schneider. En tout état de cause, si le renforcement des droits de la défense est un objectif louable, exiger de la Commission européenne, à une phase encore prématurée, de présenter en détail les problèmes concurrentiels nous semble infondé car dans la majorité des cas cela est impraticable.

Concernant le lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice, le Tribunal analyse les effets que le manquement identifié dans la communication des griefs a pu avoir sur le sens de la décision d’incompatibilité. Il convient de rappeler, à cet égard, que le TPI a annulé la décision de la Commission européenne en se basant sur une violation caractérisée des droits de la défense : l’affaire a été par conséquent renvoyée à la Commission, qui a dû reprendre la procédure mais n’était pas liée par une obligation procédurale de déclarer l’opération compatible avec le marché commun : il n’était pas certain que Schneider aurait gardé les actifs de Legrand en cas d’absence de ce vice. En effet, bien que Schneider ait perdu une chance de pouvoir présenter des mesures correctives et d’obtenir l’autorisation de la concentration, il est très difficile de quantifier le dommage subi par cette société et partant impossible d’accepter une demande en indemnisation. Le Tribunal adhère en revanche à la demande relative aux indemnités pour deux autres types de préjudice : celui lié aux frais de consultation, honoraires et frais administratifs en vue de la reprise de la procédure et celui lié à la réduction de prix de cession de Legrand afin d’exécuter la décision de séparation. En effet, Schneider n’aurait pas dû supporter ces frais si la Commission avait respecté ses droits de la défense.

Par cet arrêt, le Tribunal manifeste à nouveau sa volonté d’imposer des limites à la liberté d’appréciation de la Commission européenne en matière de contrôle des concentrations. A l’instar de l’arrêt Impala (T-464/04), où le Tribunal a imposé à la Commission des exigences très élevées en matière de motivation des décisions, il sanctionne dans cet arrêt de manière très lourde un erreur dans la présentation des « griefs » quant aux effets probables d’une opération de concentration. Ce faisant, le TPI impose des contraintes formelles, à notre sens injustifiées, en relation avec une procédure qui est d’ors et déjà très stricte en termes de délais. Il reste à savoir ce qu’en dira la Cour de justice en sachant que la Commission européenne entend introduire un pourvoi.


Reproduction autorisée avec indication : Pranvera Këllezi, "Arrêt Schneider Electric : la responsabilité non contractuelle de la Communauté en matière de contrôle des concentrations d’entreprises", www.ceje.ch, actualité du 20 juillet 2007.

Catégorie: Concurrence