Depuis 2007, l’article 30 de la loi allemande sur le séjour des étrangers subordonne la délivrance d’un visa aux fins du regroupement d’époux ressortissants d’Etats tiers à la condition liée aux connaissances élémentaires d’allemand. Dans son arrêt du 10 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a examiné la compatibilité de cette condition avec le droit de l’Union et, notamment, avec la clause de « standstill » prévue à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel annexé à l’accord d’association CEE-Turquie.
Mme Dogan, ressortissante turque résidente en Turquie, cherche vainement depuis plus de trois ans à rejoindre son mari, ressortissant turc résident en Allemagne, où il dispose d’un titre de séjour à durée indéterminée. Bien que l’intéressée ait fourni une attestation du Goethe Institut relative à un test de langue de niveau A1, ses demandes de visa ont été systématiquement rejetées par l’Ambassade d’Allemagne à Ankara, au motif qu’elle est analphabète et qu’elle ne dispose pas de connaissances linguistiques nécessaires. Dans ce contexte, le Verwaltungsgericht Berlin a décidé d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement n° 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972.
La Cour de justice souligne d’abord que la clause de « standstill » énoncée audit article prohibe de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc de la liberté d’établissement ou de la libre prestation de services sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date d’entrée en vigueur du protocole additionnel. S’il est vrai que la situation de Mme Dogan ne relève ni de la libre prestation de services ni de la liberté d’établissement, il n’en demeure pas moins vrai que la compatibilité de la disposition nationale litigieuse avec la clause de « standstill » doit être analysée eu égard à l’exercice de la liberté d’établissement par M. Dogan. En effet, celui-ci dirige en Allemagne une société à responsabilité limitée dont il est l’actionnaire majoritaire et dispose donc de revenus issus d’une activité non salariée exercée sur le territoire de cet Etat membre.
S’agissant ensuite de la question de savoir si une exigence linguistique, telle que celle en cause au principal, peut constituer une nouvelle restriction à la liberté d’établissement d’un ressortissant turc, la Cour de justice constate que l’absence de perspective d’un regroupement familial pour un tel ressortissant est susceptible d’influencer négativement sa décision de s’établir sur le territoire d’un Etat membre afin d’exercer son activité autonome, en l’obligeant de choisir entre la poursuite d’une telle activité et le maintien de l’unité familiale. De surcroît, la Cour de justice estime qu’une telle exigence va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs liés à la prévention des mariages forcés et à la promotion de l’intégration, tels que ceux-ci étaient invoqués par le gouvernement allemand, dans la mesure où le défaut de preuve de l’acquisition de connaissances linguistiques suffisantes conduit automatiquement au rejet de la demande de regroupement familial, sans une appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes de chaque cas d’espèce.
Avec cet arrêt, la Cour de justice renforce davantage le statut des ressortissants turcs dans l’Union européenne, dans le souci d’assurer que les règles nationales en matière d'immigration ne deviennent pas un instrument pour empêcher de tels ressortissants de jouir des droits qu’ils tirent des dispositions de l’accord d’association CEE-Turquie.