Au moment de l’entrée en vigueur des mesures de transposition de la directive 2014/40, relative aux produits du tabac, au sein des Etats membres (le 20 mai 2016 – article 29 de la directive), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce sur la validité de l’article 20 de ladite directive, lequel a déjà suscité les foudres de nombre de fabricants et importateurs de cigarettes électroniques de par la réglementation très restrictive de ce type de produits qu’il met en place (interdiction presque totale de la publicité, capacité maximale des réservoirs de nicotine réduite, possibilité pour les Etats membres d’interdire la vente à distance transfrontalière, etc.).
Dans son arrêt du 4 mai 2016 (C-477/14, Pillbox38), la CJUE a examiné la validité de l’article 20 de la directive 2014/40 au regard des principes d’égalité de traitement, de libre concurrence, de proportionnalité, de sécurité juridique, de subsidiarité et au regard des articles 16 (liberté d’entreprise) et 17 (droit de propriété) de la Charte de droits fondamentaux de l’Union européenne. Il faut également noter que la CJUE a déclaré la demande de décision préjudicielle recevable, notamment en ce qu’elle porte sur la validité d’un acte de droit dérivé de l’Union (pts 14-31).
Le présent commentaire s’inscrit dans la continuité de l’Actualité du Centre d’études juridiques européennes (CEJE) du 9 mai 2016, rédigée par Elisabet Ruiz Cairo, et portant sur l’arrêt C-547/14, « Philip Morris », arrêt rendu également le 4 mai 2016. Cette autre affaire avait trait à la question de la base juridique de la directive 2014/40 (article 114 TFUE) et au respect des droits fondamentaux.
L’affaire Pillbox38 qui nous occupe ici, soumise à la CJUE par la High Court of Justice (England & Wales), a tout d’abord permis à la CJUE de rappeler sa jurisprudence constante relative au principe d’égalité de traitement exigeant que « des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié » (pt 35). Constatant que les cigarettes électroniques ne se trouvent pas dans la même situation que les autres produits du tabac, soumettre ces premières à un régime juridique distinct de celui applicable aux autres produits du tabac n’enfreint pas le principe d’égalité de traitement. La CJUE ajoutera que les arguments invoqués au sujet de la méconnaissance du principe de libre concurrence n’ayant pas de contenu autonome par rapport à ceux relatifs au principe d’égalité de traitement, il convient de renvoyer aux considérations exposées quant à ce dernier principe.
Ensuite, examinant la validité de l’article 20 de la directive 2014/40, et de son régime spécifique applicable aux seules cigarettes électroniques, au regard des principes de proportionnalité et de sécurité juridique, la CJUE rappelle que selon sa jurisprudence constante, le principe général de proportionnalité exige que les « actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés » (pt 48). La Cour rappelle également que le législateur de l’Union possède un large pouvoir d’appréciation quant à l’application de ce principe de proportionnalité.
Constatant que les principes de proportionnalité et de sécurité juridique doivent notamment être appréciés à la lumière du principe de précaution, la CJUE conclura que, vu l’absence d’harmonisation de la législation des Etats membres relatives aux cigarettes électroniques et le potentiel effet d’obstacles à la libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur que cela engendre, vu l’état actuel des risques liés à l’utilisation des cigarettes électroniques, vu la prise en compte des données scientifiques disponibles, le législateur de l’Union européenne n’a pas enfreint les principes de proportionnalité et de sécurité juridique en adoptant l’article 20 de la directive 2014/40 (pts 55-67). La CJUE procèdera toutefois à un examen supplémentaire de ces mêmes principes au regard, spécifiquement, de l’article 20, paragraphes 2, 3, 4, sous a), et 5 à 7 de la directive 2014/40 (pts 68-141).
Procédant en troisième lieu à un examen de l’article 20 précité au regard du principe de subsidiarité, la CJUE rappelle que conformément à ce principe, énoncé à l’article 5, paragraphe 3, TUE, « l’Union n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau de l’Union ». Par ailleurs, le protocole n° 2 (annexé au traité UE) établit, en son article 5, des lignes directrices pour déterminer si ces conditions sont remplies.
La Cour remarque à ce propos qu’il existe des divergences au niveau national en ce qui concerne les règles applicables aux cigarettes électroniques et que, ainsi, la directive 2014/40 poursuit bien un objectif pouvant être mieux atteint au niveau de l’Union (pts 147-151).
Enfin, quant à la validité de l’article 20 de la directive 2014/40 au regard des articles 16 (liberté d’entreprise) et 17 (droit de propriété) de la Charte des droits fondamentaux, la CJUE constate que les communications commerciales imposée par l’article 20, paragraphe 5, ne permet pas aux opérateurs économiques de promouvoir leurs produits, ce qui est constitutif d’une ingérence dans la liberté d’entreprise de ces opérateurs. Toutefois, la liberté d’entreprise n’est pas absolue, et conformément à l’article 52 de la Charte, celle-ci peut contenir des limitations (pts 156-160). Or la limitation en l’espèce répond bien aux exigences de l’article 52 précité, celle-ci ne constitue dès lors pas une violation de l’article 16 de la Charte. La Cour procèdera par un même raisonnement quant à l’article 17 relatif au droit de propriété.
La Cour de justice conclura que l’examen de la question préjudicielle posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 20 de la directive 2014/40.
Cet arrêt confirme ainsi la validité de l’article 20 de la directive 2014/40, relatif aux cigarettes électroniques, au regard des principes d’égalité de traitement, de libre concurrence, de proportionnalité, de sécurité juridique, de subsidiarité et au regard des articles 16 (liberté d’entreprise) et 17 (droit de propriété) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’analyse du principe général de proportionnalité effectuée par la CJUE est particulièrement poussée et confirme la tendance de la Cour à reconnaître une large marge d’appréciation au législateur de l’Union (contrairement à la marge d’appréciation assez réduite laissée à l’action des Etats membres).
Laura Marcus, « « Fumer tue….. », la CJUE statue sur les cigarettes électroniques », Actualité du CEJE du 17 mai 2016, disponible sur www.ceje.ch