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Coca-Cola, Toblerone, Philip Morris … En quoi se distinguent-ils des autres ?

Laura Marcus , 10 mars 2016

Le Tribunal de l’Union européenne a rendu, le 24 février 2016, un arrêt (T-411/14) dont l’enseignement confirme la jurisprudence antérieure de la juridiction européenne en matière de marque tridimensionnelle et d’acquisition d’un pouvoir distinctif par l’usage.  Cet arrêt nous permet de faire un rappel de cette jurisprudence tout en évaluant l’impact de l’adoption récente (16 décembre 2015) du règlement n° 2015/2424 et de la directive n° 2015/2436, rapprochant les législations des Etats-membres sur les marques, sur cette jurisprudence. 

Il s’agissait dans le cas particulier d’un litige opposant The Coca-Cola Company (ci-après « Coca-Cola ») à l’OHMI (l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur). Coca-Cola avait présenté une demande d’enregistrement d’un signe tridimensionnel (une bouteille à contours sans cannelures) comme marque communautaire à l’OHMI, au sens du règlement n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire.

L’OHMI avait refusé l’enregistrement du signe en question estimant celui-ci dépourvu de caractère distinctif au sens, premièrement, de l’article 7, paragraphe 1er, lettre b), du règlement n° 207/2009 et, deuxièmement, de l’article 7, paragraphe 3, dudit règlement. En effet, la chambre de recours de l’OHMI ayant rejeté le recours de Coca-Cola avait d’abord pris en considération « le fait que les produits en cause sont caractérisés par une production de masse, […] le consommateur moyen des produits concernés n’était pas particulièrement attentif et qu’il était « probable qu’il ait un souvenir imparfait des produits de marque » (pt 9). Ensuite, se basant sur l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, il avait été considéré que la marque demandée n’avait pas acquis un caractère distinctif par l’usage.

Concernant le motif de refus basé sur l’article 7, paragraphe 1er, lettre b), du règlement n° 207/2009, soit sur l’absence de caractère distinctif du signe tridimensionnel dont l’enregistrement comme marque était demandé, le Tribunal a rejeté le moyen de Coca-Cola en estimant que « l’utilisateur final dirigera généralement son attention davantage vers l’étiquette du produit ou vers son conditionnement et le nom, l’image ou le dessin qui y figure que simplement vers la conception du conditionnement en soi, elle n’est, en tout état de cause, pas de nature à remettre en cause le bien-fondé des appréciations de la chambre de recours » (pt 55).

Concernant ensuite le second moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 3 du règlement n° 207/2009, Coca-Cola soutenait que le signe litigieux avait acquis un caractère distinctif par l’usage. En effet, un motif absolu de refus (comme, dans le cas d’espèce, l’absence de caractère distinctif du signe tridimensionnel) n’empêche pas l’enregistrement d’une marque si celle-ci a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été faite. C’est le cas si le signe en question est effectivement perçu par le public pertinent comme une indication de l’origine commerciale d’un produit, notamment suite à un effort économique du demandeur de la marque.

Le Tribunal rappellera à cet égard que le caractère distinctif acquis par l’usage doit être démontré dans la partie de l’Union où le signe en était dépourvu et que l’acquisition de ce caractère distinctif par l’usage doit avoir lieu antérieurement au dépôt de la demande d’enregistrement (pt 67). Après un examen des différents éléments de preuve apportés par Coca-Cola, le Tribunal de l’Union a conclu que ces conditions n’étaient pas remplies et qu’il y avait dès lors lieu de rejeter le recours.

Cet arrêt confirme la tendance jurisprudentielle développée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en matière de marque tridimensionnelle et en matière d’acquisition d’un pouvoir distinctif par l’usage.

En effet, en ce qui concerne les marques tridimensionnelles d’abord, malgré le fait que la CJUE considère que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles ne diffèrent pas de ceux applicables aux autres catégories de marques (verbales, figuratives, etc.), le caractère distinctif de cette première catégorie de marques est très rarement considéré comme satisfait. La CJUE considère en effet généralement que les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits ou services en se fondant sur leur forme ou emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel.

Ainsi, les marques tridimensionnelles admises à l’enregistrement sont généralement celles dont la forme diverge significativement de la norme ou des habitudes dans le secteur (cela a par exemple été accepté pour le chocolat Toblerone, par contre la forme du paquet de cigarettes Philip Morris a été refusée à l’enregistrement tout comme les paquets pour boissons tenant debout).

Ensuite, cet arrêt confirme qu’un signe dépourvu, à l’origine, d’un caractère distinctif peut acquérir cette caractéristique par l’usage qui en est fait. Il faut alors que le signe soit perçu comme marquant par le public concerné, au moyen de différents moyens de preuve.

Cette jurisprudence stricte relative aux marques tridimensionnelles est-elle susceptible d’évoluer suite à l’adoption par le législateur européen des nouveaux instruments en matière de marques (précités) ?

L’article 4 du règlement n° 2015/2424 a une portée sensiblement différente de l’article 4 du règlement n° 207/2009 qu’il remplace en ce qu’il établit que « peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, ou les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs, la forme d'un produit ou de son conditionnement, ou les sons, à condition que ces signes soient propres à: a)  distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises ; et b) être représentés dans le registre d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet bénéficiant de la protection conférée à leur titulaire »

L’ajout de ce dernier paragraphe, supprimant l’exigence de représentation graphique du signe, devrait permettre d’enregistrer des signes sonores, olfactifs, tactiles etc. Cette évolution pourrait sensiblement modifier l’appréciation du caractère distinctif des signes demandés à l’enregistrement. S’agira-t-il ainsi de modifier la jurisprudence de la CJUE en matière, notamment, de marque tridimensionnelle ?

 

Laura Marcus, « Coca-Cola, Toblerone, Philip Morris… En quoi se distinguent-ils des autres ? », Actualité du 10 mars 2016, disponible sur www.ceje.ch