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Les affaires « Ad Words » et la nouvelle dimension de l’usage commercial des marques

Ljupcho Grozdanovski , 9 avril 2010

Avec le développement des nouvelles technologies, la Cour de justice semble être de plus en plus confrontée aux problèmes d’usages abusifs des marques qui sont, pour le moins, peu orthodoxes. Dans l’arrêt Google France et Google, du 23 mars 2010 (aff. jtes C-236/08, C-237/08 et C-238/08), la Cour a eu à se prononcer sur la licéité des « AdWords » par rapport à l’article 5 de la directive 89/104, relative au rapprochement des législations des Etats membres sur les marques, qui énonce les droits conférés par la marque enregistrée ainsi que les modalités de son exploitation.

Les AdWords sont un phénomène relativement nouveau qui consiste dans le référencement d’un signe sur un moteur de recherche électronique tel que Google. Si un utilisateur effectue une recherche par mots-clés, Google référence les sites qui se rapportent « naturellement » aux mots recherchés. Parmi les liens, indiqués au coin droit de l’écran, figurent souvent des signes accompagnés de messages qui, si consultés, renvoient à des sites commerciaux. Le problème des AdWords est notamment celui où à cause de leurs similarités avec une marque enregistrée et notoire, ils sont susceptibles d’induire en erreur l’utilisateur raisonnable et normalement avisé sur l’origine des produits et services auxquels ils renvoient.

Dans l’arrêt Google France, l’entreprise Louis Vuitton (aff. C-236/08), titulaire d’une marque enregistrée et producteur de sacs de luxe, reproche à Google d’avoir autorisé le référencement des sites où ont été mis en vente des imitations de ses produits. Faisant valoir une violation à ses droits exclusifs sur sa propre marque, Louis Vuitton a saisi les juridictions françaises sur le fondement de l’article 5 de la directive 89/104. Dans les affaires C-237/08 et C-238/08, deux marques relatives respectivement, aux services de voyage et aux services matrimoniaux, ont fait l’objet d’annonces mises sur internet par des entreprises concurrentes. Ayant été victimes d’une concurrence déloyale avérée, les titulaires desdites marques ont également saisi les juridictions françaises sur le fondement de l’article 5 de la directive 89/104.

Après que les affaires citées aient été portées devant les juges de fond et les juridictions d’appel, des pourvois en cassation ont été formés. La Cour de cassation française a été amenée à interpréter les dispositions de l’article 5 de la directive de 1989 en relation avec le nouveau phénomène des AdWords qui ne figurent pas parmi les cas d’abus « classiques », énoncés audit article. En présence d’une telle difficulté, la Cour de cassation a décidé d’adresser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice sur chacune des affaires en présence. Les questions portent, en substance, sur la nature des contrats de référencement passés entre Google et les annonceurs, et l’incidence qu’ils produisent sur le droit des marques, en vertu de l’article 5 de la directive de 1989.

En ce qui concerne les contrats de référencement passés par Google, la Cour de justice précise que ce dernier s’est simplement borné à fournir les conditions techniques nécessaires pour que les tiers puissent utiliser des signes et des messages à des fins publicitaires. En ce sens, rendre possible le référencement n’équivaut pas à l’usage abusif direct des marques. Par conséquent, Google ne peut pas être tenu responsable pour les éventuelles atteintes aux droits des marques dues aux divers référencements que ce dernier assure au profit des tiers.

Pour ce qui est de l’éventuelle atteinte aux droits des marques, la Cour estime que le référencement des signes identiques ou similaires à une marque, pour autant qu’ils renvoient à des produits et des services destinés à être vendus et prestés, sont susceptibles de rentrer dans les usages interdits par l’article 5, même si ce dernier ne mentionne pas expressément les « AdWords ». Sur ce point, la Cour rappelle « la circonstance que [celui-ci] a été rédigé avant la pleine apparition du commerce électronique et des publicités développées dans ce cadre » (point 66 de l’arrêt). En effet, les AdWords, dans la mesure où ils suggèrent un lien économique avec une marque, peuvent présenter le risque de confusion quant à l’origine commune des produits visés par cette dernière et ceux visés par l’annonce sur internet. L’existence du lien économique comme critère d’évaluation de l’atteinte revêt une importance particulière dans l’interprétation de l’article 5, car la preuve suffisante dudit lien est apte à dévoiler le « parasitage » résultant de l’identité entre le signe publicitaire et la marque protégée.

Les précisions fournies par la Cour dans l’arrêt Google France semblent poser un principe dans l’interprétation de la législation relative au droit des marques, à appliquer aux cas d’usages abusifs nouveaux, non prévus par les textes. D’ailleurs, deux jours après ledit arrêt, la Cour a été saisie par le juge autrichien sur un litige qui relevait, là encore, du champ d’application de l’article 5 de la directive 89/104. Dans cet arrêt (C-278/08), la Cour a renvoyé l’affaire devant les juridictions nationales, mais elle a fortement insisté sur la condition du lien économique en tant qu’élément-clé dans l’interprétation de l’article 5.

Il est clair que les deux affaires des 23 et 25 mars 2010 s’écartent des cas habituels d’atteintes connus jusqu’alors en droit des marques. Cependant, elles sont représentatives de situations qui deviendront sans doute plus fréquentes, où la Cour de justice sera amenée à examiner la nouvelle dimension qu’acquiert la notion « d’usage commercial » d’une marque, due à l’évolution toujours plus intense des nouvelles technologies.


Reproduction autorisée avec indication : Ljupcho Grozdanovski, "Les affaires « Ad Words » et la nouvelle dimension de l’usage commercial des marques", www.ceje.ch, actualité du 9 avril 2010.