Dans l’arrêt du 21 janvier 2016, le Tribunal rejette la demande visant à l’annulation de la décision 2013/255/PESC qui concerne des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et qui inclut Mohammad Makhlouf, oncle de Bachar Al-Assad et associé d’affaires du régime syrien. Cette décision reprend les mêmes informations et motifs que ceux de la décision d’exécution 2011/488, dans laquelle figure déjà le nom du requérant, mettant en œuvre la décision 2011/273.
En ce qui concerne la recevabilité du recours, le Tribunal rappelle que « le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre un acte imposant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité commence à courir uniquement à partir de la date de la communication de cet acte à l’intéressé, et non à la date de la publication de cet acte» (point 20). Lorsque le Conseil dispose de l’adresse de la personne visée, comme dans le cas d’espèce, le délai ne commence à courir que lorsqu’il y a eu une communication directe de l’acte à cette adresse (point 21). Le Conseil n’ayant pas valablement communiqué au requérant la décision attaquée, le Tribunal considère que le délai pour introduire le recours en annulation n’aurait pas commencé à courir et la demande du requérant serait donc admissible (point 30).
En ce qui concerne le fond, le Tribunal analyse sept moyens d’annulation. Tout d’abord, le requérant considère qu’il y a eu une violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Le Tribunal affirme que l’absence de communication individuelle au requérant n’entraîne aucune atteinte à ses droits de la défense puisque les motifs de la décision reprennent à l’identique les motifs de la première décision qui avait mené à l’inscription initiale du requérant.
Par ailleurs, le requérant met en avant une violation de l’obligation de motivation. Le Tribunal rappelle que la motivation doit « fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union » et lui permettre d’exercer un contrôle sur la légalité de l’acte (point 63). Cependant, un acte est considéré comme étant suffisamment motivé lorsqu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (point 70), ce qui mène le Tribunal à rejeter ce moyen.
Ensuite, le Tribunal analyse le bien-fondé des motifs de la décision attaquée. En se basant sur l’arrêt Kadi II, il signale qu’il est nécessaire de s’assurer que la décision repose sur une base factuelle suffisamment solide (point 85). Cependant, il rappelle également que « l’inscription du nom d’une personne dans les annexes des actes attaqués peut être fondée sur une présomption relative aux membres de sa famille » (point 87) et que, dans le cas d’espèce, le requérant est manifestement une personne liée aux dirigeants du régime syrien de par son lien familial. Le requérant est, par ailleurs, également lié au régime syrien du point de vue professionnel puisqu’il fait partie de la classe économique dirigeante en Syrie et il a été le principal conseiller lors de l’ouverture du marché syrien des télécommunications. De ce fait, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas d’erreur manifeste d’appréciation du Conseil.
En outre, le requérant fait valoir une violation du droit à une protection juridictionnelle effective. Le Tribunal rejette cet argument en rappelant que le Conseil avait publié un avis à l’attention des personnes auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision attaquée et que cet avis prévoyait explicitement la possibilité de demander un réexamen de l’inscription et d’introduire un recours en annulation.
Finalement, le Tribunal analyse ensemble les trois derniers moyens relatifs à la violation de droits fondamentaux. Le Tribunal rappelle que le respect des droits fondamentaux constitue une condition de la légalité des actes de l’Union mais que ces droits ne sont pas absolus et des restrictions sont donc admises pour autant qu’elles répondent à des objectifs d’intérêt général et ne constituent pas une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits garantis (point 107).
Ainsi, pour ce qui est du droit de propriété, les mesures restrictives poursuivent un intérêt légitime qui est la protection des populations civiles et des mesures moins contraignantes n’auraient pas été aussi efficaces. De plus, le Tribunal rappelle que la décision permet l’utilisation des fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels et la révision périodique des noms des personnes concernées.
Concernant le droit à la vie privée, le Tribunal affirme que « le droit à la vie privée n’a pas pour vocation de protéger le justiciable contre une perte de son pouvoir d’achat » (point 115) ; de ce fait, le requérant ne peut pas considérer qu’une violation de ce droit s’est produite de par une réduction de son niveau de vie. Par ailleurs, la décision attaquée permet aux Etats membres d’autoriser l’entrée des personnes concernées pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.
En conséquence, les restrictions au droit à la propriété et au droit à la vie privée ne sont pas disproportionnées au regard du but poursuivi et ces moyens sont eux aussi rejetés.
Elisabet Ruiz Cairó, « L’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la Syrie respecte toutes les garanties procédurales et les droits fondamentaux », Actualité du 27 janvier 2016, www.ceje.ch