Dans un arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim c. Conseil et Commission (C-239/12 P), la Cour de justice a annulé l’ordonnance du 28 février 2012 (T-127/09) par laquelle le Tribunal avait estimé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours en annulation introduit par le requérant contre le règlement n° 881/2002, instituant des mesures restrictives à l’encontre de personnes liées au réseau Al-Qaida, pour autant qu’il le concernait. A la suite de la radiation du requérant de la liste du comité des sanctions institué par le Conseil de sécurité des Nations unies, la Commission avait supprimé son nom de la liste litigieuse par le règlement n° 31/2011. Suivant les observations du Conseil et de la Commission, le Tribunal a constaté que le recours était devenu sans objet, et qu’il n’y avait plus lieu à statuer. L’ordonnance rejetait également la demande en réparation de l’intéressé.
Le requérant s’appuie sur son droit à un recours effectif et à une protection juridictionnelle effective, ainsi que sur son droit au respect de sa vie privée, pour demander l’annulation de cette ordonnance. La Cour rejette rapidement plusieurs arguments tirés du prétendu non-respect de certaines règles procédurales par le Tribunal. Un second moyen portait cependant sur l’erreur de droit commise par le Tribunal en jugeant que le recours était devenu sans objet. Le requérant estime en effet que son intérêt à agir est maintenu du fait qu’une reconnaissance de l’invalidité de son inscription sur la liste litigieuse peut contribuer à réhabiliter sa réputation, et à remédier aux difficultés rencontrées dans sa vie privée et professionnelle du fait de cette inscription. Par ailleurs, une annulation permettrait d’éviter une répétition de l’illégalité, ce qui suffirait à justifier la persistance de l’intérêt à agir.
La Cour de justice considère que le Tribunal a apprécié l’intérêt à agir du requérant de manière trop restrictive. Le Tribunal avait écarté l’application à cette affaire de la jurisprudence selon laquelle un requérant peut conserver un intérêt à obtenir l’annulation d’un acte ayant cessé de produire des effets pour obtenir une remise en état de sa situation, pour éviter le risque de répétition de l’illégalité, et avait rejeté le recours en responsabilité. La Cour estime cependant que cette jurisprudence pose une règle plus générale, selon laquelle la persistance de l’intérêt à agir doit être appréciée in concreto, en tenant compte des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi (pt 65). En l’espèce, la Cour rappelle l’importance des effets de l’inscription sur une telle liste, qui associait l’intéressé à une organisation terroriste. L’ampleur de l’atteinte à la réputation de la personne, avec son incidence sur sa vie privée et professionnelle, ou encore la difficulté de conclure de nombreux actes juridiques, persistent suite à la modification du règlement. La reconnaissance de l’illégalité de l’acte initial par le juge peut permettre une réhabilitation, voire une forme de réparation du préjudice moral subi : ce bénéfice suffit au maintien de l’intérêt à agir du requérant.
Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en décidant qu’il n’y avait plus lieu à statuer sur le recours en annulation. La recevabilité et le fond n’ayant pas été examinés en première instance, la Cour de justice renvoie l’affaire devant le Tribunal. Cet arrêt constitue une nouvelle illustration de l’attention accordée par la Cour à la protection juridictionnelle des personnes visées par les mesures restrictives visant à lutter contre le terrorisme. L’appréciation extensive de l’intérêt à agir du requérant est en effet clairement liée à l’ampleur de l’incidence de la mesure visée sur sa vie privée et professionnelle, qui rend d’autant plus indispensable une reconnaissance de l’illégalité par le juge.
Reproduction autorisée avec l’indication: Araceli Turmo, "Une personne radiée d’une liste imposant des mesures restrictives conserve un intérêt à agir en annulation", www.ceje.ch, actualité du 3 juin 2013.