Dix-huit ans après que son statut d’autonomie lui ait été retiré par Slobodan Milošević alors président de la Serbie, le Kosovo a unilatéralement déclaré son indépendance le 17 février 2008. Dernier pays de l’ex-Yougoslavie à accéder à l’indépendance, il a attendu avec impatience la réaction de l’un de ses principaux alliés, l’Union européenne (UE), espérant obtenir son soutien et confirmer les relations étroites qui lient, depuis plusieurs années déjà, Européens et Kosovars.
L’UE n’a toutefois pas pris position en tant que telle sur la reconnaissance de ce nouvel Etat, car si une large majorité des Etats membres (dont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie ou encore la Slovénie, actuellement à la présidence de l’UE) se sont immédiatement déclarés en faveur de cette indépendance, au moins cinq s’y sont farouchement opposés. Ainsi, la Slovaquie et la Roumanie ont refusé de reconnaître le nouvel Etat kosovar autoproclamé, et surtout l’Espagne, en pleine campagne pour les élections législatives, qui craint que la décision unilatérale du Kosovo créé un effet d’entraînement pour ses propres minorités basque et catalane. Chypre, confrontée aux revendications indépendantistes de sa population d’origine turque, rejette également la possibilité de légitimer une situation de sécession non négociée. Enfin, la Grèce soutient le gouvernement chypriote et refuse également de reconnaître l’existence d’un Kosovo indépendant. Cinq Etats au moins bloquent donc la prise de position commune de l’UE sur la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. Le Conseil des ministres des Affaires étrangères a toutefois publié, au lendemain même de la déclaration d’indépendance du Parlement kosovar, des conclusions (PDF) qui, si elles ont le méritent d’exister, reflètent néanmoins une nette division entre les 27 Etats membres.
Dans ses conclusions, le Conseil a estimé que le Kosovo devait s’engager à respecter les principes de démocratie et d’égalité entre tous ses citoyens, à protéger les minorités et le patrimoine culturel et religieux, réaffirmant ainsi les principes communs qui guident l’action de l’UE et marquant sa volonté d’amener ce nouvel Etat sur la voie des relations étroites qu’ont déjà empruntées la majorité de ses voisins de l’ex-bloc soviétique. Dans la droite ligne de ses précédentes déclarations, l’UE insiste également sur le rôle prédominant qu’elle entend jouer dans le renforcement de la stabilité dans les Balkans. Mais quel rôle pour une Union qui ne peut accorder ses violons sur l’un des bouleversements majeurs qui secoue cette région ? En effet, découvrant le voile d’une unité apparente, le Conseil relève qu’il appartient à chaque Etat membre de décider, en vertu de sa pratique nationale et des règles du droit international, des relations qu’il entend avoir avec le Kosovo. De plus, le Conseil insiste sur le caractère sui generis de la situation kosovare, écartant ainsi toute possibilité de se prévaloir de cette sécession unilatérale comme précédent. Face aux Etats-Unis, qui ont reconnu les premiers cette indépendance et qui se sont ainsi placés sur le devant de la scène comme lors de la première intervention de la communauté internationale au Kosovo en 1999, l’UE est à nouveau confrontée à son incapacité à s’exprimer d’une seule voix dans une situation qui se déroule pourtant à sa frontière.
Si certains commentateurs refusent de voir un nouvel échec de la politique étrangère et de sécurité commune des 27 dès lors que, malgré les divergences, les opposants à une reconnaissance du Kosovo n’ont pas bloqué l’action de l’UE mais se sont contentés de s’abstenir, d’autres font valoir à l’inverse que l’UE se retrouve une fois de plus entravée dans la conduite d’une politique étrangère commune par des divisions internes. Il est à noter toutefois que M. Javier Solana, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), s’est d’ailleurs rendu à Pristina le 19 février 2008 afin de rencontrer le Premier ministre fraîchement élu, Hashim Thaçi, et lui assurer l’intention de l’UE de continuer d’entretenir d’étroites relations avec le Kosovo (voir le résumé de la conférence de presse PDF). De même, la mission européenne EULEX KOSOVO (PDF) visant à mettre en place un Etat de droit au Kosovo et à assurer la sécurité et la stabilité de la région, a été confirmée par l’UE la veille de la déclaration d’indépendance et s’est officiellement installée le 20 février 2008.
On pourrait donc se demander si, pour faire face aux difficultés que représente l’unanimité dans une Union à 27 membres et compte tenu des enjeux nationaux, l’UE ne développerait-elle pas une forme de diplomatie parallèle, distincte de la ligne officielle approuvée par l’ensemble des Etats membres ? Un des principaux reproches fait à l’UE ces dernières années, et notamment s’agissant du conflit au Kosovo, a été son incapacité à s’affirmer en tant qu’entité unie et forte sur la scène internationale. Sous la pression de l’opinion publique et des médias, l’UE tenterait-elle de s’émanciper du rôle de géant silencieux dans lequel l’ont enfermée les Etats membres en matière de politique étrangère et de trouver sa place propre sans toutefois froisser les susceptibilités nationales ?
Dans le traité de Lisbonne, le maintien de la PESC en tant que titre spécifique dans le traité sur l’UE, malgré une volonté d’abandonner l’actuelle structure à piliers, atteste de la résistance des Etats membres à céder cette partie fondamentale de leur souveraineté étatique. Pourtant, ce nouveau traité dote l’UE d’un haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à qui il est attribué un rôle fort dans ce domaine puisqu’il veille notamment « à l’unité, à la cohérence et à l’efficacité de l’action de l’Union » (art. 26, par. 2, al.2 UE), préside le Conseil des affaires étrangères et représente l’UE pour la politique étrangère (art. 27, par. 1 et 2 UE). La visibilité de l’UE sur la scène internationale est ainsi accrue par le regroupement de la majeure partie de ses compétences en matière d’action extérieure en une seule personne. Ce futur haut représentant sera, sans doute dans un premier temps, M. Solana, qui prend déjà la mesure de ce rôle comme le démontre sa visite dans la capitale kosovare. On peut donc se demander si l’UE, anticipant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et surtout les changements réels qu’il apporte, ne serait pas en train de mener une politique sur le plan externe à la hauteur de ses ambitions, mais contre la volonté de ses Etats membres ? Se retrouvera-t-on en pratique face à un Conseil des ministres des Affaires étrangères incapable de prendre des décisions communes sur les sujets les plus sensibles de la politique extérieure et dont le président ira pourtant présenter une position « unique » face aux partenaires internationaux ? La question reste ouverte et l’on suivra avec intérêt l’évolution de cette politique étrangère et de sécurité commune dix-sept ans après son inscription dans le traité sur l’UE à Maastricht.
Reproduction autorisée avec indication :-, "Kosovo : un nouveau mode de fonctionnement pour la politique étrangère de l’Union européenne ?", www.ceje.ch, actualité du 6 mars 2008.