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Libre circulation : précisions sur la notion de ‘situation purement interne’

Laura Marcus , 1 décembre 2016

La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a confirmé le 15 novembre dernier sa jurisprudence antérieure relative à la notion de « situation purement interne » tout en apportant certaines précisions quant à l’interprétation de cette notion (arrêt Ullens de Schooten, C-268/15).

Cet arrêt est intervenu dans le cadre d’une demande en interprétation préjudicielle introduite par la Cour d’appel de Bruxelles, saisie d’un litige opposant M. Ullens de Schooten à l’Etat belge. Le premier a demandé la condamnation du second au paiement de dommages et intérêts pour l’avoir tenu à tort coupable de l’exploitation illégale d’un laboratoire de biologie clinique en Belgique.

Après avoir déclaré la demande en interprétation préjudicielle recevable car le principe de la responsabilité extracontractuelle d’un état relève de la compétence interprétative de la Cour, celle-ci a rappelé que cette responsabilité ne peut être engagée que si la règle du droit de l’Union prétendument violée a pour objet de conférer des droits au particulier qui s’en prévaut, que la violation de cette règle est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par le particulier (pts 41 et 43).

Ainsi, dans le cadre d’un litige comme celui au principal, où tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat membre, il est nécessaire d’examiner si le particulier retire des droits des dispositions du droit de l’Union européenne (art. 49, 56 et 63 TFUE) prétendument violées (pts 46 et 47). En effet, les dispositions du traité FUE en matière de libre circulation des services, des capitaux et de liberté d’établissement n’ont pas vocation à s’appliquer à une situation purement interne à un Etat membre (pt 47).

La Cour reconnaît toutefois qu’un juge national peut fonder sa décision sur des dispositions du droit de l’Union européenne dans quatre scénarii, et, ce, même si tous les éléments du litige sont cantonnés à un seul Etat membre (pt 50).

Le premier scénario a trait à la situation où un ressortissant établi dans un autre Etat membre est (ou serait) intéressé à faire usage de ses libertés de circuler pour exercer des activités sur le territoire de l’Etat membre ayant adopté la réglementation nationale litigieuse et que celle-ci, indistinctement applicable, est susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à ce seul Etat membre (pt 50).

Deuxièmement, lorsque la juridiction de renvoi saisit la Cour de justice à titre préjudiciel dans le cadre d’une procédure nationale en annulation de dispositions indistinctement applicables aux ressortissants nationaux et étrangers, la décision que cette juridiction adoptera à la suite de l’arrêt rendu à titre préjudiciel produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants, ce qui justifie qu’elle réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales en dépit du fait que tous les éléments du litige au principal sont cantonnés à un seul État membre (pt 51).

Troisièmement, l’interprétation des dispositions relatives aux libertés fondamentales peut s’avérer pertinente dans une affaire dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre lorsque le droit national impose à la juridiction de renvoi de faire bénéficier un ressortissant de l’État membre dont cette juridiction relève des mêmes droits que ceux qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit de l’Union dans la même situation (pt 52).

Enfin, le dernier scénario concerne les cas où, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application du droit de l’Union européenne, les dispositions de ce droit ont été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union (pt 53).

La Cour de justice a ainsi identifié les différentes hypothèses dans lesquelles un justiciable va pouvoir se fonder sur des dispositions du droit de l’Union même lorsque les éléments du litige sont confinés à l’intérieur d’un seul Etat membre.

Cependant, la Cour ne s’est pas arrêtée à cette énumération mais a ajouté que, pour que l’un des quatre scénarii mentionnés ci-dessus puisse se voir appliqué, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer en quoi l’un de ceux-ci est concrètement applicable, cette indication doit établir un lien entre l’objet ou les circonstances du litige et les dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales. En effet, lorsque « tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige » (pt 55).

Or, dans le cas d’espèce, la Cour a constaté que la décision de renvoi n’indique pas qu’il existe effectivement un tel lien mais se contente de mentionner que la réglementation nationale en cause est indistinctement applicable aux ressortissants de l’État membre concerné et aux ressortissants d’autres États membres. Ainsi, dès lors que le litige au principal ne présente aucun élément de rattachement concret avec les articles 49, 56 et 63 TFUE, dispositions qui visent à protéger les personnes faisant un usage effectif des libertés fondamentales, celles-ci ne sont pas susceptibles de conférer des droits à M. Ullens de Schooten, et, ainsi, ne saurait fonder la responsabilité extracontractuelle de l’Etat belge (pts 56, 57).

La Cour de justice a ainsi apporté un peu plus de clarté dans sa jurisprudence relative à la notion de « situation purement interne » en énumérant les hypothèses dans lesquelles un juge national peut fonder sa décision sur des dispositions du droit de l’Union européenne même si tous les éléments du litige sont cantonnés à un seul Etat membre.

Elle a aussi souligné qu’en présence d’une telle hypothèse, le juge de renvoi doit indiquer à la Cour l’existence d’un lien concret entre l’objet du litige et les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales.

Laura Marcus, «Libre circulation : précisions sur la notion de ‘situation purement interne’ », Actualité du 1er décembre 2016, disponible sur www.ceje.ch