L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 21 juin dernier dans l’affaire New Valmar (C-15/15) confirme la proposition de réponse présentée dans l’Actualité du Centre d’études juridiques européennes (CEJE) du 14 avril dernier.
Le Tribunal de commerce de Gand (Belgique) avait posé une question préjudicielle portant sur l’interprétation à donner à l’article 45 TFUE afin de savoir s’il s’oppose à une réglementation de la Communauté flamande de Belgique (qui constitue une entité fédérée de cet Etat membre) qui impose à toute entreprise ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité d’établir ses factures à caractère transfrontalier dans la seule langue officielle de cette entité (le néerlandais) à peine de nullité des factures, nullité qui doit être soulevée d’office par le juge.
Comme nous l’avions relevé, la CJUE a constaté que l’affaire en cause au principal ne concerne par la libre circulation des travailleurs (article 45 TFUE) mais bien la libre circulation des marchandises, et, plus particulièrement, s’agissant de l’exportation de marchandises depuis la Belgique vers l’Italie, de l’article 35 TFUE interdisant les mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’exportation.
Afin de procéder à cette reformulation de la question préjudicielle, la Cour de justice a rappelé que l’article 267 TFUE instaure une procédure de coopération entre les juridictions nationales et la CJUE, cette dernière ayant pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union afin d’apporter une réponse utile au juge national lui permettant de trancher le litige. Ceci ayant donc amené la Cour à reformuler la question préjudicielle afin de lui donner comme assise juridique l’article 35 TFUE et non l’article 45 TFUE.
La CJUE a ensuite vérifié l’existence ou non d’une restriction à la libre circulation des marchandises.
S’agissant d’une éventuelle entrave à l’exportation de produits, la Cour a d’abord rappelé qu’ « une mesure nationale applicable à tous les opérateurs agissant sur le territoire national qui affecte en fait davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre relève de l’interdiction énoncée à l’article 35 TFUE » (pt 36).
La Cour constatera sur cette base que la réglementation litigieuse constitue bien une entrave à la libre circulation des marchandises au sein de l’UE en ce qu’elle prive les opérateurs de choisir librement la langue de rédaction de leurs factures et impose une langue qu’ils ne maîtrisent pas forcément et qui est différente de la langue du contrat. Ainsi, la réglementation en cause accroît le risque de contestation et de non-paiement des factures. Inversement, « le destinataire d’une facture rédigée dans une langue autre que le néerlandais pourrait, compte tenu de la nullité absolue frappant une telle facture, être incité à en contester la validité pour ce seul motif, et ce alors même que cette facture aurait été rédigée dans une langue qu’il comprend » (pt 41).
Enfin, la CJUE procèdera à une analyse des motifs de justifications à l’entrave ainsi constatée, invoqués par le gouvernement belge.
Comme nous l’avions relevé dans notre Actualité du 14 avril 2016, la Cour constatera tout d’abord que la stimulation et la promotion de l’emploi de l’une des langues nationales constitue un objectif légitime de nature à justifier, en principe, une entrave à la libre circulation des marchandises (en rappelant ses arrêts Groener, Runevic-Vardyn et Wardyn et Anton Las).
Toutefois, même si la réglementation en cause est apte à atteindre cet objectif (ainsi que l’objectif de facilitation des contrôles de documents officiels par les autorités nationales), encore faut-il qu’elle soit proportionnée à ces objectifs. Or, en l’occurrence, « une réglementation d’un État membre qui, non seulement imposerait l’utilisation de la langue officielle de celui-ci pour la rédaction de factures relatives à des transactions transfrontalières, mais qui permettrait, en outre, d’établir une version faisant foi de telles factures également dans une langue connue des parties concernées serait moins attentatoire à la liberté de circulation des marchandises que la réglementation en cause au principal, tout en étant propre à garantir les objectifs poursuivis par ladite réglementation » (pt 54).
La Cour jugera dès lors que la réglementation en cause va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs et n’est donc pas proportionnée.
Cette réponse s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure relative à la même problématique (principalement ici : Groener et Anton Las) et recherche un équilibre, basé sur le principe de proportionnalité, entre protection de la diversité linguistique des Etats membres et intégration économique de l’Union européenne.
Laura Marcus, « Factures à caractère transfrontalier et obligations linguistiques ne font pas bon ménage », Actualité du 3 juillet 2016, disponible sur www.ceje.ch