Dans les arrêts Stoss (C-316/07, C-358/07 à C-360/07, C-409/07 et C-410/07) et Carmen Media Group (C-46/08) rendus en 2010, la Cour de justice de l’Union européenne jugeait que les juridictions allemandes pouvaient légitimement considérer que le monopole public sur les paris sportifs en Allemagne n’était pas propre à garantir la réalisation des objectifs d’intérêt général invoqués par le législateur allemand, d’une manière cohérente et systématique, au motif que les titulaires de ce monopole se livraient à des campagnes publicitaires intensives et que les autorités compétentes menaient parallèlement des politiques d’encouragement à la participation d’autres jeux de nature à entraîner un risque élevé d’assuétude.
Six années après, la Cour de justice s’est à nouveau prononcée, cette fois, sur le mécanisme de la procédure d’autorisation fictive développé par certaines juridictions allemandes afin de remédier à l’incompatibilité du régime du monopole public sur les paris sportifs avec le droit de l’Union. Conformément à ce mécanisme, les opérateurs privés qui le désirent, peuvent se voir délivrer une autorisation d’organisation et d’intermédiation de paris sportifs dans les conditions prévues pour les titulaires des monopoles publics et leurs intermédiaires. Toutefois, cette solution n’a emporté l’adhésion que d’une partie des länder et n’a conduit, à ce jour, à la délivrance d’aucune autorisation au profit d’un opérateur privé malgré la clause d’expérimentation des paris sportifs « privés » introduite en 2012 dans la législation fédérale. C’est notamment la question de la conformité de ce mécanisme avec le droit de l’Union et notamment avec l’article 56 du traité FUE, qui a été à l’origine de la nouvelle décision rendue par la Cour de justice, le 4 février 2016, à l’occasion de l’affaire Ince (C-336/14).
En l’espèce, Mme Ince, ressortissante turque domiciliée en Allemagne, fait l’objet de deux procédures pénales dans lesquelles il lui est reprochée d’avoir exercé des activités d’intermédiation de paris sportifs, sans autorisation délivrée par l’autorité compétente du land de Bavière, pour le compte d’une société ayant son siège en Autriche où elle détient une licence d’autorisation pour organiser de telles activités. S’il considère que les éléments objectifs de l’infraction reprochée à Mme Ince sont réunis, le Tribunal cantonal de Sonthofen émet néanmoins un doute sur le caractère punissable de ces activités au regard du droit de l’Union.
Répondant à la préoccupation de la juridiction de renvoi, la Cour affirme que pour être conforme au droit de l’Union, la procédure fictive d’autorisation doit respecter les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination ainsi que l’obligation de transparence qui en découle. Pourtant, relève-t-elle, une telle pratique n’est, par définition, pas codifiée. Elle en déduit que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ne saurait être considéré que la connaissance de ladite pratique par les opérateurs privés est assurée. En particulier, le fait que cette procédure ne soit pas appliquée de manière unanime et uniforme par les autorités compétentes des Länder et que sa légalité ne soit pas admise par l’ensemble des juridictions allemandes, ne facilite ni la connaissance de la procédure à suivre afin de solliciter une autorisation, ni celle des conditions dans lesquelles une telle autorisation leur sera accordée ou refusée. Enfin, la Cour de justice fait sienne l’argument de la juridiction de renvoi qui souligne que dans la mesure où les conditions d’octroi d’une autorisation aux opérateurs publics, telles que prévues dans la réglementation fédérale et dans les législations des Länder, visent précisément à justifier l’exclusion des opérateurs privés, ceux-ci ne peuvent logiquement jamais remplir, en pratique, ces conditions. Elle en conclut que la procédure d’autorisation fictive ne saurait être considérée comme ayant remédié à l’incompatibilité, avec le droit de l’Union, du monopole public des paris sportifs en Allemagne.
Or, conformément à la jurisprudence de la CJUE issue des arrêts Placanica (C-338/04, C-359/04 et C-360/04) et Costa et Cifone (C-72/10 et C-77/10), un État membre ne peut appliquer une sanction pénale à une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit de l’Union. La Cour rappelle enfin que cette interdiction, qui découle des principes de primauté du droit de l’Union et de coopération loyale s’étend à tous les organes de l’État membre concerné parmi lesquels les autorités répressives.
Suite à ce nouveau constat de non-conformité du régime de monopole public sur les paris sportifs par la Cour de justice, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Allemagne a tout intérêt à revoir sa règlementation au risque de tomber dans le viseur de la Commission qui pourrait bien lui appliquer un recours en manquement. Affaire à suivre…
Martial Zongo, "Le monopole public sur les paris sportifs en Allemagne à nouveau sous la loupe de la CJUE", Actualité du 15.2.2016, disponible sur www.ceje.ch