Il est de jurisprudence constante que les réglementations nationales visant à interdire ou à limiter l’organisation de jeux de hasard relèvent du champ d’application de l’article 56 du traité FUE. L’approche de la Cour de justice en la matière est relativement classique : une fois qu’est établie l’entrave à la libre prestation des services, il y a lieu de s’interroger sur l’éventuelle justification fondée sur l’un des motifs reconnus dans le traité FUE, ou sur une raison impérieuse d’intérêt général, reconnue comme légitime dans la jurisprudence de la Cour. L’arrêt Pfleger du 30 avril 2014 (aff. C-390/12) comporte un aspect novateur, car outre la violation de l’article 56 du traité FUE, les requérants au principal dans cette affaire ont fait valoir une violation des dispositions de la Charte des droits fondamentaux.
Dans cette affaire, il s’agit de quatre litiges pendants devant les juridictions autrichiennes, concernant des mesures de sanction prises à l’encontre d’exploitants de machines à sous, au motif qu’ils n’ont pas disposé d’autorisations administratives préalables à l’exploitation de ces machines. La juridiction de renvoi a posé quatre questions préjudicielles à la Cour de justice relatives, en substance, à la compatibilité de la réglementation autrichienne avec l’article 56 du traité FUE d’une part, et les articles 15 à 17 de la Charte des droits fondamentaux, d’autre part.
Après avoir déclaré les questions préjudicielles recevables, la Cour de justice s’est prononcée sur l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux au sens de l’article 51 de celle-ci. Elle a jugé, sur ce point, que même si l’organisation des jeux de hasard ne relève pas d’un domaine harmonisé, elle relève du champ d’application de l’article 56 du traité FUE, conformément à l’arrêt Åkerberg Fransson (C-617/10) selon lequel, dès qu’une situation est régie par le droit de l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux a vocation à s’appliquer.
En ce qui concerne l’examen de fond, la Cour a procédé en deux temps en examinant, en premier lieu, l’entrave à la libre prestation des services, et en second lieu, la violation des dispositions de la Charte. Sur le premier point, il a été jugé qu’il résulte de la jurisprudence en matière de jeux de hasard (v. notamment l’arrêt Placanica, aff. jtes C-338/04, C‑359/04 et C‑360/04), qu’réglementation nationale qui interdit l’exploitation des machines à sous sans une autorisation administrative préalable constitue une restriction à la libre prestation des services, pouvant être justifiée sur le fondement de l’article 52 du traité FUE, ou des raisons impérieuses d’intérêt général, dont la protection des joueurs soulevée par le gouvernement défendeur au principal. La Cour a toutefois considéré qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si la règlementation autrichienne poursuit cet objectif, dans le respect des principes de proportionnalité et de non-discrimination. En ce qui concerne le second point en revanche, relatif aux restrictions à la liberté professionnelle, la liberté d’entreprendre et au droit de la propriété, la Cour a considéré que ces restrictions peuvent être admises lorsqu’elles sont prévues par la loi, et sous réserve du respect des principes de nécessité et de proportionnalité. Elle a toutefois estimé que le constat d’une violation non justifiée de l’article 56 du traité FUE a pour effet de rendre non nécessaire l’examen d’une violation des articles 15 à 17 de la Charte. Par conséquent, la restriction à l’article 56 du traité FUE « couvre également les éventuelles restrictions de l’exercice des droits et des libertés aux articles 15 et 17 de la Charte de sorte qu’un examen séparé à ce titre n’est pas nécessaire » (pt 60).
Il est possible de penser que l’arrêt sous examen permet d’anticiper la jurisprudence à venir de la Cour de justice, qui sera probablement caractérisée par une multiplication de cas où, outre une restriction aux libertés de circulation, les requérants feront valoir une restriction à l’un des droits reconnus dans la Charte des droits fondamentaux. Les développements jurisprudentiels futurs permettront de tirer une conclusion quant à la question de savoir si ces deux types de restrictions feront, ou non, l’objet d’un seul et même examen. L’arrêt Pfleger semble montrer une tendance en ce sens.
Ljupcho Grozdanovski, "Dispense d’examen d’une restriction des droits reconnus dans la Charte résultant du constat d’une restriction de la libre prestation de services", www.unige.ch/ceje, Actualité du 8 mai 2014.