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Limite d’âge pour l’exercice d’une profession et interdiction de discrimination

Mihaela Nicola , 19 septembre 2011

Au cours des dernières années, les clauses de cessation automatique des contrats de travail en raison du fait que le salarié a atteint l’âge maximale prévu pour l’exercice de son emploi ont été l’objet d’une attention grandissante dans la jurisprudence tant des instances nationales que de la Cour de justice. Dans deux arrêts de 2010 (aff. Petersen, C-341/08 et aff. Rosenbladt, C-45/09) ayant trait au système de droit allemand fixant à 68 ans l’âge maximal pour l’exercice de la profession de dentiste conventionné, d’une part, et à 65 ans l’âge maximal pour des emplois dans le secteur de nettoyage industriel, d’autre part, la Cour de justice a interprété la directive 2000/78 qui prohibe la discrimination fondée sur l’âge. A ces occasions, elle a établi le principe selon lequel des mesures nationales limitant en temps l’exercice d’une profession sont conformes aux exigences de ladite directive, pour autant qu’elles poursuivent un objectif légitime d’une manière appropriée et nécessaire.

Par la demande de décision préjudicielle qu’elle a déférée dans l’affaire Prigge e.a. (C-447/09), la juridiction allemande vise à obtenir des éléments lui permettant d’établir si une convention collective prévoyant la « retraite forcée » à 60 ans des pilotes de la compagnie aérienne Deutsche Lufthansa est constitutive d’une discrimination prohibée par la directive 2000/78. La particularité du cas d’espèce tient dans la circonstance qu’en vertu de la règlementation internationale applicable (Joint Aviation Requirements – Flight Crew Licensing 1), l’exercice de la profession dont il s’agit est soumis à une limite d’âge plus élevée, à savoir 65 ans. Conformément à la même règlementation internationale, un titulaire d’une licence de pilote âgé de 60 à 64 ans jouit encore du droit d’exercer sa profession au bord d’un avion de transport commercial, à la condition qu’il déploie son activité dans le cadre d’un équipage composé de plusieurs pilotes, et que les autres pilotes sont âgés de moins de 60 ans. S’agissant du droit allemand, la juridiction nationale met en évidence que même si les conditions relatives à l’âge des pilotes prévues par le règlement national en matière aérienne sont calquées sur celles de la règlementation internationale, la clause litigieuse contenue dans la convention collective serait valide au regard de l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur le travail à temps partiel, lequel préserve la possibilité de limiter la durée d’un contrat de travail pour une raison objective. Or, en l’espèce, l’objectif visé par la limitation à 60 ans de l’âge des pilotes de Deutsche Lufthansa est de garantir la sécurité du trafic aérien.

Dans son arrêt du 13 septembre 2011, la Cour de justice recherche avant tout si la clause de la convention collective précitée est constitutive d’une discrimination fondée sur l’âge, au sens de la directive 2000/78, d’une part, et si le droit à la négociation collective inscrit à l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est susceptible d’exclure une telle clause du champ d’application de la directive, d’autre part.  

Sur le premier point, la Cour prend en considération l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive, aux termes de laquelle celle-ci s’applique à toutes les personnes relevant tant du secteur public que du secteur privé en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement. En prévoyant la cessation de plein droit des contrats des pilotes de la société Deutsche Lufthansa, lorsqu’ils atteignent l’âge de 60 ans, une telle clause est susceptible de créer une différence de traitement entre ces derniers et les pilotes moins âgés occupés dans la même compagnie aérienne. Pour cette raison, elle est contraire aux dispositions des articles 1 et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive.

Sur le second point, la Cour de justice constate qu’à la lumière des principes affirmés dans les arrêts Viking Line (C‑438/05), ainsi que Laval (C‑341/05), les partenaires sociaux ne peuvent plus, une fois qu’ils adoptent par le biais d’une convention collective une mesure couverte par la directive 2000/78, agir dans le mépris de cette directive. A l’instar des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, les conventions collectives sont soumises au respect du principe de non-discrimination en fonction de l’âge mis en œuvre par l’article 2, paragraphe 1, de la directive et l’article 21 de la charte des droits fondamentaux.

En même temps, les articles 2, paragraphe 5 et 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78, ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci prévoient des dérogations au principe de non-discrimination fondées sur la nécessité de protéger un objectif légitime. En analysant ces articles, la Cour s’attache à souligner la portée limitée des dérogations y prévues. Contrairement à ce qui était soutenu par les partenaires sociaux et le gouvernement allemand, elle estime d’abord que la mesure prévue dans la convention collective ne saurait être considérée nécessaire à la réalisation d’un objectif tenant à la sécurité aérienne ou à la santé, au titre des articles 2, paragraphe 5 et 4, paragraphe 1, de la directive. A cet égard, la Cour de justice met en exergue que la réglementation internationale et les règles nationales appliquées aux pilotes des autres compagnies aériennes sont plus favorables quant à l’âge maximal appliqué à l’exercice de la profession concernée. De plus, l’article 6, paragraphe 1, de la directive vise parmi les situations de nature à justifier qu’il soit dérogé au principe de non-discrimination des objectifs relevant de la politique sociale, à l’exclusion des ceux se rattachant à la sécurité aérienne. Par conséquent, la clause discriminatoire contenue dans la convention collective ne saurait être considérée légitime sur le fondement de l’une des dérogations prévues par la directive 2000/78.

Avec cet arrêt, la Cour vient de mettre en place un contrôle strict à la cessation des relations de travail pour un motif lié à l’âge des employés. L’assimilation des conventions collectives aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives des Etats membres consolide la jurisprudence développée depuis l’arrêt Rosenbladt, qui a élargi considérablement le champ d’application de la directive 2000/78. On pourrait regretter que la Cour de justice, à l’appui de sa conclusion tenant à l’absence du caractère nécessaire de la mesure litigieuse, se borne à souligner la limite supérieure d’âge imposée au niveau international pour l’exercice de la profession de pilote, sans étayer son point de vue par d’autres arguments.

Notons, enfin, que la Cour de cassation française avait admis, en mars 2010, le recours d’un commandant de bord dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel rejetant la demande de celui-ci de paiement de dommages-intérêts, suite à son licenciement au motif qu’il avait atteint l’âge de 60 ans (pourvoi 08-45307). Dans son arrêt, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire à la Cour d’appel, pour que celle-ci contrôle la compatibilité de la mesure de licenciement avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

En ce qui concerne la Suisse, signalons un arrêt du Tribunal administratif genevois du février 2010, où celui-ci a examiné la limite d’âge prévue à l’article 78 de la LS pour les professions de la santé. Il a considéré qu’une telle limite est contraire au droit fédéral, en l’espèce la LPMed. Par conséquent, la question de la limite d’âge pour d’autres professions non régies par le droit fédéral doit être résolue selon d’autres critères. Pour un examen approfondi en la matière, veuillez consulter un avis de droit soumis à l’attention de la Commission fédérale des ingénieurs géomètres.


Reproduction autorisée avec l’indication: Nicola Mihaela "Limite d’âge pour l’exercice d’une profession et interdiction de discrimination", www.ceje.ch, actualité du 19 septembre 2011