Les conditions de l’adjudication « in house » d’une concession de services publics, qui permet d’échapper à l’obligation de procéder à un appel à la concurrence, ont été précisées dans l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes Coditel Brabant rendu le 13 novembre 2008 (aff. C-324/07, non encore publié au Recueil). La dérogation en question est également appelée « l’exception Teckal », du nom du premier arrêt qui l’a consacrée.
L’affaire soumise à la Cour de justice trouve son origine dans la décision de la commune d’Uccle, dans la région bruxelloise, de s’affilier à la société coopérative intercommunale Brutélé et de concéder à cette dernière la gestion du réseau de télédistribution communal. La commune d’Uccle avait pourtant, dans un premier temps, décidé de mettre en vente le réseau et avait publié à cet effet un avis d’appel aux candidats acquéreurs. La seule offre recevable, celle de la société Coditel, avait toutefois été rejetée car jugée trop basse. Ayant finalement renoncé à la mise en vente du réseau, la Commune a accepté l’offre de Brutélé de s’affilier à elle et lui a concédé l’exploitation du réseau. La société Coditel interjette un recours contre cette décision devant le Conseil d’Etat belge, lequel pose trois questions préjudicielles à la Cour de justice relatives au contrôle exercé sur l’entité concessionnaire par l’autorité publique.
Les deux premières questions sont examinées conjointement par la Cour. Le contrat conclu entre la commune d’Uccle et Brutélé est qualifié de concession de services publics et non de marché public de services, car la rémunération de Brutélé provient de paiements effectués par les utilisateurs du réseau et non de la commune. Un tel contrat n’est donc pas soumis aux directives communautaires relatives à la coordination des procédures de passation des marchés publics de services (la directive 92/50 du Conseil, du 18 juin 1992, applicable au moment des faits, a été remplacée par la directive 2004/18 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, JO L 134 du 30.4.2004, p. 114). Selon une jurisprudence constante, les concessions de services publics, si elles ne relèvent pas du champ d’application des directives « marchés publics », doivent néanmoins respecter les règles fondamentales du Traité CE, et notamment les principes de non-discrimination en raison de la nationalité et d’égalité de traitement, ainsi que l’obligation de transparence qui en découle. La Cour rappelle que l’application de ces règles, énoncées aux articles 12, 43 et 49 du Traité CE, est exclue si deux conditions cumulatives sont remplies (« l’exception Teckal »). D’une part, l’autorité publique concédante doit exercer sur l’entité concessionnaire un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. D’autre part, l’entité concessionnaire doit réaliser l’essentiel de son activité avec l’autorité ou les autorités qui la détiennent. En l’espèce, il n’est pas contesté que Brutélé réalise l’essentiel de son activité avec ses affiliés. S’agissant de la première condition, la Cour dégage trois circonstances à prendre en considération pour identifier un « contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services » : la détention du capital de l’entité concessionnaire, la composition des organes de décision de celle-ci et l’étendue des pouvoirs reconnus à son conseil d’administration. En l’occurrence, la Cour relève que Brutélé est une société intercommunale dont les affiliés sont uniquement des communes et qui n’est pas ouverte à des affiliés privés. De plus, les organes de décision de Brutélé sont composés de délégués des autorités publiques affiliées, lesquelles sont donc en mesure d’exercer une influence déterminante sur les objectifs stratégiques et les décisions importantes de la société. Enfin, les pouvoirs étendus de son conseil d’administration n’excluent pas que Brutélé soit soumis à un pouvoir de la part des communes analogue à celui que ces dernières exercent sur leurs propres services. Cette affirmation est étayée par le fait que l’objectif statutaire de Brutélé consiste en la réalisation de missions d’intérêt communal, sans possibilité pour elle de poursuivre des intérêts distincts de ceux des communes qui lui sont affiliées.
La troisième question préjudicielle vise à déterminer si les conditions de « l’exception Teckal » sont remplies lorsque le contrôle des autorités publiques concédantes sur la société concessionnaire est exercé conjointement, le cas échéant à la majorité, et non pas individuellement. La Cour de justice précise qu’il importe que le contrôle exercé sur l’entité concessionnaire soit « effectif », sans qu’un contrôle exercé de manière individuelle ne soit indispensable. De plus, elle admet que la condition d’un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services est satisfaite lorsque plusieurs autorités publiques, lesquelles ont conféré l’accomplissement de missions de service public à une seule entité, exercent conjointement le contrôle sur cette autorité. Le mode de prise de décision est sans incidence à cet égard.
L’arrêt Coditel Brabant précise les conditions d’admission d’une exception à l’exigence de transparence et d’information imposée de manière audacieuse par la Cour de justice à des situations non couvertes par les directives « marchés publics », soit en matière de concessions de services publics. Il est en outre intéressant de relever que dans un arrêt de 1980 dont la société Coditel était déjà à l’origine (aff. 62/79, Rec.1980, p. 881), il était demandé à la Cour de justice de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 49 du Traité CE à des situations où le prestataire et le destinataire de services sont établis dans le même Etat membre, soit à des situations qualifiées de « purement internes ». La Cour de justice avait évité de répondre à cette question en jugeant que, quand bien même l’article 49 du Traité CE était applicable, la mesure contestée ne constituait pas une restriction injustifiée. Dans l’arrêt Coditel Brabant de 2008, la question de l’applicabilité du droit communautaire n’a pas été soulevée par les parties alors que tous les protagonistes sont établis en Belgique. Il est vrai que la jurisprudence de la Cour de justice s’est révélée extensive à cet égard, puisqu’elle a admis l’application de l’article 49 CE à des litiges dont tous les éléments sont cantonnés à l’intérieur d’un seul État membre, quand il ne peut exclu que des sociétés établies dans d’autres Etats membres « aient été ou seraient intéressées de fournir les services concernés » (voir par exemple CJCE, arrêt Centro Europa 7 Srl du 31 janvier 2008, aff. C-380/05, non encore publié au Recueil, § 66). En matière de marchés publics, la Cour présume même la constatation d’un lien avec les échanges intracommunautaires lorsque le marché en cause présente un intérêt transfrontalier certain (voir par exemple CJCE, arrêt Commission c. Irlande du 13 novembre 2007, aff. C-507/03, Rec. 2007, p. I-9777, § 33).
Reproduction autorisée avec indication de la source : Diane Grisel, "Concession de services publics : précisions sur les conditions de « l’exception Teckal »", www.ceje.ch, actualité du 8 décembre 2008.