Dans l’arrêt Arens-Sikken du 11 septembre 2008 (aff. C-43/07), la Cour de justice de l’UE a établi que, pour qu’une réglementation fiscale nationale qui, aux fins du calcul des droits de succession ou de donation, opère une distinction entre les résidents et les non résidents ou entre les biens situés sur le territoire national et ceux situés hors dudit territoire soit considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. Dans l’arrêt Commission c. Espagne du 3 septembre 2014 (aff. C-127/12), la Cour confirme cette jurisprudence relative à l’interprétation stricte des dispositions de l’article 65, paragraphe 1, du traité FUE portant sur la possibilité pour les Etats membres d’établir une distinction en matière fiscale entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur lieu de résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.
Dans sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de justice de constater que l’Espagne a manqué à ses obligations en vertu des articles 21 et 63 du traité FUE ainsi que des articles 28 et 40 de l’accord sur l’espace économique européen (ci-après accord EEE), dans la mesure où les articles 32 et 48 de sa loi nationale 22/2009,du 18 décembre 2009, violeraient les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes et des capitaux.
La loi espagnole 22/2009 organise la cession, aux communautés autonomes d’Espagne, du produit des droits de succession et des taxes sur les donations générés sur leur territoire. L’article 32 de ladite loi fixe les critères de rattachement qui déterminent la cession desdits droits et taxes tandis que l’article 48 confère aux communautés autonomes une compétence réglementaire pour appliquer des abattements fiscaux supplémentaires en cas de rattachement à leur territoire. Dans son examen de la législation litigieuse, la Cour commence par rejeter l’allégation de la violation des articles 21 du traité FUE et 28 de l’accord EEE pour absence de lien entre ces dispositions et la législation en cause. Concernant l’allégation de la violation des articles 63 du traité FUE et 40 de l’accord EEE, relatifs à la libre circulation des capitaux, elle se réfère à son arrêt Mattner (aff. C-510/08) en matière de traitement fiscal sur les donations et à l’arrêt Welte (aff. C-181/12) en matière de successions. Elle considère qu’en prévoyant explicitement la possibilité pour les communautés autonomes d’opérer des abattements fiscaux, lesquels ne s’appliquent qu’en cas de rattachement aux territoires de ces communautés, les articles 32 et 48 de la loi 22/2009 privent les ayants droit, les donataires, et les de cujus ne résidant pas sur le territoire espagnol ainsi que les bénéficiaires d’une succession ou d’une donation portant sur un bien immeuble ne se trouvant pas sur le territoire espagnol, de tels abattements fiscaux de telle sorte que la valeur de la succession ou de la donation pour ces derniers s’en trouve diminuée (points 59 et 60).
La Cour précise en outre, que la seule possibilité qu’offre la législation étatique de traiter différemment les assujettis en fonction de leur résidence, alors qu’ils se trouvent dans une situation comparable, peut suffire à caractériser une restriction à la libre circulation des capitaux, indépendamment du point de savoir si l’ensemble des communautés autonomes a usé ou non de la faculté prévue par la législation étatique en cause (point 66).
Se déterminant sur la possibilité, prévue à l’article 65, paragraphe 1 du traité FUE, pour les Etats membres d’établir une distinction en matière fiscale entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur lieu de résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis, la Cour rappelle ses arrêts Arens-Sikken (aff. C-43/07) et Schumacker (aff. C-279/93) avant d’en inférer que, dans la mesure où la loi nationale espagnole considère les ayants cause et les donataires tant résidents que non résidents comme assujettis aux fins de la perception de droits de succession ou de mutations sur les biens immeubles situés sur le territoire espagnol, il n’existe aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement entre ces derniers.
De ce qui précède, la Cour conclut à un manquement aux obligations qui incombent à l’Espagne en vertu de l’article 63 du traité FUE, et partant, en vertu de l’article 40 de l’accord EEE, étant donné l’égalité de la portée juridique de ces deux dispositions identiques en substance (point 80).
Martial ZONGO, "Résidents et non résidents en matière de traitement fiscal" , www.ceje.ch, Actualité du 08 septembre 2014