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L’étendue des obligations des Etats membres concernant les accords bilatéraux d’investissements conclus antérieurement à leur adhésion

Anne Monpion , 5 mai 2009

Les deux arrêts rendus par la Cour de justice le 3 mars 2009, Commission contre Autriche et Commission contre Suède, dans les affaires C-205/06 et C-249/06, permettent de rappeler les contours du devoir de coopération loyale qui incombe aux Etats membres en vertu du traité CE, et notamment l’article 307, alinéa 2. Cet article oblige les Etats membres à recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées entre les conventions conclues antérieurement à leur adhésion et le droit communautaire. Il s’agit d’une expression du devoir de coopération loyale prévu à l’article 10 TCE.

En l’espèce, la République d’Autriche et la République de Suède ont conclu des accords d’investissements bilatéraux antérieurement à leur adhésion à l’UE. La Commission européenne affirme que ces deux Etats membres ont manqué à leurs obligations dans la mesure où les accords qu’ils ont conclus ne prévoient pas les restrictions à la libre circulation des capitaux à destination et en provenance de pays tiers visées aux articles 57, paragraphe 2, 59 et 60, paragraphe 1, TCE, et dans la mesure où ils n’ont pas agi pour corriger cette situation conformément à l’article 307, alinéa 2. Contrairement aux affaires concernant les trois autres libertés de circulation, dans lesquelles la Cour condamne les restrictions appliquées par les Etats membres, il s’agit ici de juger si ces Etats n’ont pas « protégé la libre circulation des capitaux à destination et en provenance de pays tiers avec trop de zèle » (point 3 des conclusions de l’avocat général).

Si l’article 56 du traité CE interdit toutes les restrictions à la libre circulation des capitaux à destination et en provenance de pays tiers, le traité permet néanmoins aux Etats membres d’imposer certaines restrictions, et surtout confère cette même faculté à la Communauté elle-même en vue de la protection de l’intérêt général. C’est le cas de l’article 57, paragraphe 2 qui permet d’introduire des restrictions aux mouvements de capitaux à destination et en provenance de pays tiers. La Communauté peut aussi prendre des mesures de sauvegarde afin de faire face à des difficultés pour le fonctionnement de l’union économique et monétaire, conformément à l’article 59. Enfin, en vertu de l’article 60, paragraphe 1, elle peut réduire les relations économiques avec les pays tiers, y compris quant aux mouvements de capitaux, sur la base d’une action commune relevant de la politique étrangère et de sécurité commune. Or, la Communauté n’a pas encore introduit de telles restrictions à la libre circulation des capitaux à destination et en provenance de pays tiers qui sont parties aux accords conclus avec l’Autriche et la Suède.

La Commission européenne, au terme de la procédure pré-contentieuse, a introduit un recours en manquement en vertu de l’article 226 du traité CE, à l’encontre de l’Autriche et de la Suède, estimant que les accords bilatéraux d’investissements pouvaient faire échec à l’application des restrictions aux mouvements de capitaux que le Conseil peut adopter en vertu des articles précités. En termes généraux, la question se pose donc de savoir si le devoir de coopération loyale impose aux Etats membres une quelconque obligation dans les domaines où ils partagent des compétences avec la Communauté. Selon l’avocat général, la réponse est affirmative. Si la Communauté devait introduire des restrictions à la libre circulation au titre des articles 57, paragraphe 2, 59 et 60, paragraphe 1 du traité CE, il est très vraisemblable que les accords seraient incompatibles avec la législation adoptée par le Conseil (point 50 des conclusions). Les différents objectifs visés par ces articles pourraient être mis en péril si l’on permettait à l’Autriche et à la Suède de maintenir des obligations internationales qui compromettraient l’effet utile de la législation que la Communauté a la faculté d’adopter au titre de ces articles. Toujours selon l’avocat général, si l’on devait attendre qu’un conflit effectif entre la législation communautaire et les obligations internationales se produise avant d’adopter toutes les mesures nécessaires pour éliminer cette incompatibilité, cela priverait la législation communautaire de son effet utile. Cela reviendrait à apporter des restrictions à la compétence conférée à la Communauté par le traité CE(point 52 des conclusions).

Pour la Cour de justice, afin d’assurer l’effet utile des dispositions en cause, il est nécessaire que les mesures restreignant la libre circulation des capitaux puissent être, dans le cas où elles seraient adoptées par le Conseil, immédiatement appliquées. Or, il se peut que les Etats concernés par ces mesures soient des Etats qui ont signé l’un des accords avec l’Autriche et la Suède (point 36 de l’arrêt dans l’affaire C-205/06 et point 37 de l’arrêt dans l’affaire C-249/06). Ainsi, si le Conseil venait à exercer ses compétences, les délais inhérents à toute négociation internationale qui seraient nécessaires pour rediscuter les accords en cause sont par nature incompatibles avec l’effet utile de ces mesures (point 39 de l’arrêt dans l’affaire C-205/06 et point 40 de l’arrêt dans l’affaire C-249/06). La Cour ajoute, en réponse aux arguments des parties défenderesses, que la possibilité d’avoir recours à d’autres moyens du droit international comme la suspension de l’accord, voire la dénonciation des accords en cause ou de certaines de leurs stipulations, est trop incertaine dans ses effets pour garantir que les mesures prises par le Conseil pourraient être utilement appliquées (point 40 de l’arrêt dans l’affaire C-205/06 et point 41 de l’arrêt dans l’affaire C-249/06). En conséquence, en ayant omis de recourir aux moyens appropriés pour éliminer des incompatibilités relatives aux dispositions en matière de transfert de capitaux contenues dans les accords d’investissement conclus avec des Etats tiers, l’Autriche et la Suède ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de l’article 307, alinéa 2 du traité CE. La Cour de justice a rendu une décision conforme aux conclusions de l’avocat général si ce n’est qu’à aucun moment la Cour ne fait référence au devoir de coopération loyale. Pourtant, les obligations qui incombent aux Etats membres compte tenu de la solution adoptée supposent une loyauté absolue en ce sens que les Etats membres se retrouvent contraints de ne pas respecter leurs obligations internationales.

En effet, de manière générale, les dispositions de l’article 307, alinéa 2, impose donc aux Etats membres l’obligation de ne pas nuire à l’effet utile de dispositions que la Communauté pourrait adopter au titre de compétences non encore exercées, octroyées par le traité CE. Concernant les accords bilatéraux d’investissements, les Etats doivent contrôler le contenu des ces accords conclus avec des pays tiers et, le cas échéant, revenir sur leurs engagements.


Reproduction autorisée avec indication : Anne Monpion, "L’étendue des obligations des Etats membres concernant les accords bilatéraux d’investissements conclus antérieurement à leur adhésion", www.ceje.ch, actualité du 5 mai 2009.