Le Conseil constitutionnel a, dans un revirement historique, décidé de transmettre une première question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, le 4 avril 2013. Cette décision indique une profonde évolution de la position du Conseil quant aux rapports entre ordres juridiques européens, mais aussi quant à son statut et son rôle dans le système juridictionnel de l’Union. Il n’est par ailleurs pas indifférent que la décision de renvoyer une question à la Cour ait été prise dans le domaine de l’ « ELSJ », espace de liberté, sécurité et justice porteur de nombreuses innovations dans les rapports de systèmes.
Le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée suite à l’arrestation, fondée sur un mandat d’arrêt européen, de M. Jeremy F., ressortissant britannique qui s’était « enfui » en France avec une de ses élèves âgée de 15 ans. Le mandat d’arrêt avait été initialement délivré pour un enlèvement d’enfant, mais le requérant, qui a accepté sa remise dans un premier temps, a été interrogé par les autorités britanniques pour activité sexuelle avec une mineure. Le juge britannique a estimé que le principe de spécialité l’empêchait de placer M. F. en détention sur le fondement de faits différents de ceux visés dans le mandat d’arrêt, mais la chambre de l’instruction de Bordeaux a accepté son extension. Le code de procédure pénale ne prévoit aucun recours contre cette décision, mais M. F., faisant valoir le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d’égalité devant la justice, s’est pourvu devant la Cour de cassation. La recevabilité de ce recours dépend de la réponse donnée par le Conseil constitutionnel à la question prioritaire de constitutionnalité qui y est assortie.
Cette question transmise par la Cour de cassation ne portait en apparence que sur le droit national. Cependant, la disposition en cause faisant partie de la transposition de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, le Conseil constitutionnel estime nécessaire d’obtenir une interprétation de cette dernière par la Cour de justice avant de se prononcer sur la possibilité de prévoir un recours contre la décision de la chambre de l’instruction. En effet, les articles 27 et 28 de la décision-cadre prévoient un court délai, de trente jours, pour la prise d’une décision sur l’extension des effets du mandat d’arrêt européen. En revanche, la décision-cadre laisse à l’appréciation des États membres les recours à mettre en place contre les décisions de remise et d’extension de la portée des mandats d’arrêts européens : la France a prévu une possibilité de contester en justice les remises auxquelles l’intéressé n’a pas consenti, mais pas de recours contre l’extension autorisant une poursuite pour d’autres infractions.
Cette disposition pose donc de graves questions de conformité avec des droits fondamentaux, notamment le droit à un recours juridictionnel effectif. Or, l’article 88-2 de la Constitution française lève les inconstitutionnalités nées des actes pris par l’Union dans le domaine du mandat d’arrêt européen. Dans le cas où l’impossibilité de former un recours découlerait directement de la décision-cadre, elle ne pourrait donc pas être considérée comme inconstitutionnelle, tandis que si elle résulte d’un choix du législateur français, le Conseil constitutionnel pourra examiner sa conformité avec le bloc constitutionnel. Le Conseil a donc formé un renvoi préjudiciel, interrogeant la Cour de justice sur l’interprétation des articles 27 et 28 de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, et sur la possibilité de prévoir des recours suspendant l’exécution des décisions visées par ces dispositions. Au vu du litige en cause au principal, il demande à la Cour de statuer selon la procédure d’urgence.
La question posée est caractéristique des problèmes que peut poser le choix du niveau de contrôle des normes nationales adoptées dans le cadre de transpositions d’actes de l’Union. Elle illustre par la même la nécessité du dialogue des juges, auquel participent de plus en plus de juridictions constitutionnelles, afin d’identifier l’origine des problèmes et, partant, le niveau auquel il convient d’y remédier. Ce revirement constitue également une étape importante dans la « juridictionnalisation » du Conseil constitutionnel, de par ses attributions, mais qui apparaît de plus en plus en contradiction avec sa composition et son fonctionnement. Il est cependant peu probable que la Cour de justice opère un examen approfondi de la nature juridictionnelle de cet organe pour apprécier la recevabilité du renvoi.
Reproduction autorisée avec l’indication: Araceli Turmo, "Premier renvoi préjudiciel du Conseil constitutionnel français", www.ceje.ch, actualité du 22 avril 2013