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La démonstration du dialogue des juges par le juge hongrois à travers les limites à la liberté d’établissement

Anne Monpion , 16 février 2009

L’arrêt rendu en grande chambre le 16 décembre 2008, Cartesio (C-210/06), présente un caractère didactique certain qu’il convient de souligner.

La société Cartesio de droit hongrois, dont le siège est établi en Hongrie, a déposé une demande auprès de la Cour départementale de Bács-Kiskun, statuant en qualité de tribunal des sociétés, en vue de faire acter le transfert de son siège en Italie et modifier en conséquence la mention concernant son siège dans le registre des sociétés. Cette demande a été rejetée au motif que le droit hongrois en vigueur ne permet pas à une société constituée en Hongrie de transférer son siège à l’étranger tout en continuant à être soumise à la loi hongroise. Cartesio fait appel devant la Cour d’appel régionale de Szeged. Elle invoque la violation des articles 43 et 48 TCE.

La juridiction hongroise décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes. Dans la mesure où la loi hongroise ne prévoit pas, dans le litige au principal, de procédure du contradictoire, la Cour d’appel se pose de prime abord la question de savoir si elle constitue bien une juridiction au sens de l’article 234 TCE. Toujours selon le système contentieux hongrois, un pourvoi en cassation est possible contre la décision de la Cour d’appel mais il ne peut porter que sur points de droit et n’a pas pour effet de suspendre la décision. La Cour de Szeged se demande alors si elle peut être considérée comme une juridiction de dernière instance soumise à l’obligation de saisir la Cour d’une question en interprétation du droit communautaire en vertu de l’article 234. Quant à la troisième question, elle concerne la possibilité d’interjeter un appel distinct contre une décision de renvoi préjudiciel. En cas d’appel contre une ordonnance formulant une demande de décision préjudicielle, la juridiction saisie en appel peut réformer l’ordonnance ou infirmer la demande de décision préjudicielle et enjoindre la juridiction ayant rendu l’ordonnance de poursuivre la procédure de droit interne suspendue. Ces règles internes sont-elles compatibles avec l’article 234 TCE ? La quatrième question concerne le fond de l’affaire. Selon la législation hongroise, le siège social d’une société constituée selon le droit hongrois se trouve au lieu de son administration centrale. La juridiction de renvoi demande alors en substance si les articles 43 et 48 TCE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à cette réglementation qui empêche une société constituée en vertu du droit national de cet Etat membre de transférer son siège dans un autre Etat membre tout en gardant sa qualité de société relevant du droit national de l’Etat membre selon la législation duquel elle a été constituée.

Concernant la première question, la Cour de justice rappelle que l’article 234 ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure (arrêt du 27 avril 2006, Standesamt Stadt Niebüll, C-96/04). Toutefois, il résulte de cet article que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si elles sont appelées dans un litige à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel. C’est le cas en l’espèce de la procédure d’appel intentée contre la décision du tribunal chargé de la tenue du registre des sociétés.

La recevabilité de la deuxième question a été contestée par la Commission considérant la question du caractère obligatoire ou non de la saisine sans intérêt dans la mesure où la décision préjudicielle est déjà soumise à la Cour. Celle-ci rappelle que les questions relatives à l’interprétation du droit communautaire posées par le juge national bénéficient d’une présomption de pertinence. Selon la Cour, l’irrecevabilité, en l’espèce, aboutirait à exiger qu’une juridiction soumette d’abord une demande de décision préjudicielle soulevant la question de sa compétence et qu’elle formule ensuite, par une seconde demande de décision préjudicielle, des questions intéressant le fond du litige dont elle est saisie. Sur le fond, la Cour, se fondant sur l’arrêt Lyckestog (2 juin 2002, C-99/00), décide que le fait qu’un recours contre une décision d’une juridiction nationale soit limité à des points de droit et n’ait pas d’effet suspensif n’a pas pour effet de priver les parties de la possibilité d’exercer de manière effective leur droit de former un pourvoi et n’implique donc pas que la Cour d’appel doive être qualifiée de juridiction prononçant une décision non susceptible de recours.

La recevabilité de la troisième question a également été contestée en raison de son caractère hypothétique puisque aucun appel ne semblait avoir été interjeté contre l’ordonnance de renvoi. Comme précédemment, la Cour invoque la présomption de pertinence. Il est indéniable que le juge hongrois a en l’espèce saisi l’opportunité d’un dialogue avec son homologue communautaire pour faire le point sur la compatibilité de l’ensemble du système contentieux national avec le droit communautaire. C’est en cela que sa question n’est pas hypothétique et comme le précise l’avocat général Poiares Maduro, elle permet à la Cour de prévenir les futurs obstacles susceptibles de gêner la coopération entre elle et les juridictions nationales dont les ordonnances de renvoi pourraient être frappées d’appel. Sur le fond, la Cour indique que la situation au principal conduit à limiter considérablement la compétence autonome de saisir la Cour d’une question préjudicielle conférée au premier juge. Conformément à l’article 234, l’appréciation de la pertinence et de la nécessité de la question préjudicielle relève, en principe, de la seule responsabilité de la juridiction conformément à la jurisprudence Van der Weerd e. a. (arrêt du 7 juin 2007, C-222/05 à C-225/05).

Quant à la question relative à la restriction à la liberté d’établissement, l’avocat général Maduro a considéré que les règles nationales en cause déniaient complètement la possibilité pour une société de droit hongrois de transférer son administration centrale vers un autre Etat membre. La Cour ne l’a pas suivi. La question qui se pose est celle de savoir si la société concernée peut être considérée comme une société ayant la nationalité de l’Etat membre selon la législation duquel elle a été constituée et non celle de savoir si la société, dont il est constant qu’elle est une société de droit national d’un Etat membre, se trouve confrontée ou non à la restriction dans l’exercice de son droit d’établissement dans un autre Etat membre. Dans la mesure où le critère de rattachement déterminant le droit national applicable à une société n’est pas prévu par l’article 48, la détermination de ce droit, et donc la réponse à la question de savoir si elle bénéficie effectivement de la liberté d’établissement, relève du droit national. Il est remarquable que la Cour n’ait pas été plus prompte à écarter une atteinte à la libre circulation, notamment due à l’inachèvement de travaux législatifs. Une décision plus audacieuse aurait peut être permis de stimuler ces travaux visant à favoriser la liberté d’établissement par l’adaptation des droits nationaux des sociétés.


Reproduction autorisée avec indication : Anne Monpion, "La démonstration du dialogue des juges par le juge hongrois à travers les limites à la liberté d’établissement", www.ceje.ch, actualité du 16 février 2009.