Dans son arrêt Fenoll (aff. C-316/13) du 26 mars 2015, la Cour de justice s’est prononcée sur la notion de « travailleur » au sens de l’article 7 de la directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union.
En l’espèce, M. Fenoll avait été admis du 1er février 1996 au 20 juin 2005 comme usager d’un centre d’aide par le travail (ci-après CAT « La Jouvene »).En France, les CAT ont pour vocation d’accueillir les adolescents et adultes handicapés qui ne peuvent, momentanément ou durablement, travailler dans des entreprises ordinaires ni exercer une activité professionnelle indépendante. Le 16 octobre 2004, date à laquelle il a été mis en arrêt maladie, M. Fenoll bénéficiait d’un solde de douze jours de congés annuels payés acquis et non pris. A cela s’ajoutait son droit au congé pour la période allant du 1er juin 2004 au 31 mai 2005. Pour l’ensemble de ces droits, M. Fenoll, réclamait le paiement d’une indemnité financière d’un montant de 945 euros. Suite au refus du CAT « La Jouvene » de lui verser la totalité de cette somme, ce dernier a saisi le tribunal d’instance d’Avignon qui a rejeté sa demande d’indemnisation. Il s’est alors pourvu en cassation devant la Cour de cassation française en faisant valoir la violation de son droit au congé annuel payé, prévu à l’article 7 de la directive 2003/88 et à l’article 31, paragraphe 2, de la charte.
Face à cette prétention, la Cour de cassation pose plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice afin de savoir si la notion de « travailleur » au sens des deux textes susmentionnés, doit être interprétée comme englobant une personne admise dans un centre d’aide par le travail, telle que le requérant en l’espèce. Elle aimerait aussi savoir si l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux doit être interprété en ce sens qu’il peut être invoqué directement dans un litige horizontal afin de garantir le plein effet du droit au congé annuel payé et de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire.
Il convient de rappeler que dans son arrêt Neidel (aff. C-337/10), la Cour de justice avait inclus dans les critères de la notion de « travailleur » au sens de de la directive 2003/88, celui de l’exercice d’« activités réelles et effectives », qui ne figurait pas dans son premier arrêt Union syndicale solidaires Isère (aff. C-428/09) rendu en la matière. Elle avait ainsi rendu identique cette notion à celle prévue à l’article 45 du traité FUE en matière de libre circulation des travailleurs. De ce fait, l’intérêt de la première question résidait notamment en l’existence d’une décision antérieure de la Cour de justice, rendue dans une affaire Bettray (aff. C-344/87), en matière de libre circulation des travailleurs, et dans laquelle la Cour avait considéré qu’une personne exerçant des activités économiques qui ne constituaient pour elle qu’un moyen de rééducation ou de réinsertion, ne pouvait se prévaloir de la qualité de travailleur dans la mesure où de telles activités ne pouvaient être considérées comme réelles et effectives. Pour répondre à la question posée par la Cour de cassation française, la Cour évoque dans un premier temps sa jurisprudence Neidel, dans laquelle elle avait précisément affirmé, en se référant à son arrêt Lawrie-Blum (aff. 66/85), que « doit être considérée comme «travailleur» toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique de la relation de travail est […] la circonstance qu’une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ». Elle constate ensuite, qu’en l’espèce M. Fenoll avait bien fourni, pendant au moins cinq années consécutives, des prestations diverses en faveur et sous la direction du CAT, et en contrepartie desquelles il avait perçu une rémunération quoiqu’elle fût minime. Toutefois, la Cour de justice refuse d’appliquer par analogie la solution retenue dans l’affaire Bettray, qui selon ses termes « n’est pertinente qu’au regard des circonstances de fait ayant donné lieu à cet arrêt ». Se référant aux conclusions de l’avocat général, elle justifie sa position en raison du fait que contrairement aux activités exercées par les toxicomanes dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bettray, « les activités exercées par les handicapés au sein du CAT « La Jouvene » ne sont pas créées dans le seul but de procurer une occupation, le cas échéant dérivative, aux intéressés ». Il s’agit bien d’activités présentant également une « certaine utilité économique » au profit de l’entité concernée et permettant de « valoriser la productivité, aussi réduite soit-elle, des personnes lourdement handicapées […] ». Dans ces conditions, la Cour de justice conclut que la notion de « travailleur » au sens de la directive 2003/88 doit être interprétée en ce sens qu’elle peut englober une personne admise dans un centre d’aide par le travail, tel que celui en cause au principal.
Quant à l’application de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, la Cour de justice constate simplement que ladite charte n’a pas vocation à s’appliquer, ratione temporis, dans une situation comme celle de la présente affaire.
De manière générale, cet arrêt tend à confirmer l’approche unique adoptée par la Cour de justice en ce qui concerne la notion de « travailleur » en matière de politique sociale et de libre circulation des travailleurs.
Martial Zongo, « La notion de "travailleur" en matière de politique sociale », www.ceje.ch, actualité du 30 mars 2015.