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Le régime de protection des consommateurs bénéficiaires de contrats de fourniture de gaz au regard des directives 93/13 et 2003/55

Mihaela Nicola , 28 mars 2013

L’arrêt RWE apporte  des clarifications sur  l’application de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats de livraison de gaz conclus par une entreprise d’approvisionnement avec un consommateur dans le cadre de la liberté contractuelle de droit commun, désignés comme « contrats spéciaux », par opposition aux « contrats relevant du tarif standard », lesquels s’inscrivent dans un cadre réglementaire. Il permet également de déterminer dans quelle mesure une telle entreprise peut exercer son droit de modifier unilatéralement le prix de  fourniture du gaz, sans enfreindre les dispositions des directives 93/13 et 2003/55 relatives aux règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.

RWE est une entreprise allemande d’approvisionnement de gaz naturel ayant conclu avec des consommateurs des contrats spéciaux dont les clauses relatives aux conditions générales font référence aux dispositions de la réglementation nationale applicable aux contrats relevant du tarif standard. Selon cette réglementation, un fournisseur de gaz peut faire varier unilatéralement les prix du gaz sans indiquer le motif, les conditions ou l’ampleur d’une telle modification, tout en garantissant, cependant, aux clients visés le droit d’être informés de ladite modification ainsi que de la possibilité de dénoncer les contrats auxquels ils sont parties. A la suite de l’augmentation des prix à quatre reprises par l’entreprise RWE, l’association des consommateurs de la Rhénanie du Nord Westphalie a contesté devant les juridictions allemandes les clauses contractuelles relatives à la modification des prix du gaz, au motif qu’elles seraient abusives. Saisi du litige, le Bundesgericht a décidé d’effectuer un renvoi préjudiciel, afin de savoir, en premier lieu, si les clauses litigieuses peuvent être soumises à un contrôle du caractère abusif, au regard de la directive93/13. D’autre part, il a invité la Cour de justice de l’Union européenne à interpréter les dispositions pertinentes de la même directive ainsi que de la directive 2003/55 afin de déterminer si des clauses standardisées, comme celles qui caractérisaient les relations contractuelles au principal, étaient conformes aux exigences établies par les dispositions précitées.  

Concernant la portée de l’exclusion d’un contrôle du caractère abusif des clauses standardisées, la Cour de justice rappelle que la directive 93/13 ne s’applique pas aux clauses contractuelles qui reflètent des « dispositions législatives ou réglementaires impératives ». De même, ne sont pas couverts par ladite directive les contrats auxquels « ladite réglementation s’applique conformément à une disposition du droit national ». Pour justifier une telle exclusion, elle se réfère à une présomption, selon laquelle le législateur national, en prévoyant l’application d’un tel régime, a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties aux contrats concernés. Elle souligne cependant qu’une telle interprétation ne saurait s’appliquer à des contrats tels que ceux en l’espèce, dans lesquels l’application du régime réglementé est le résultat de la volonté des parties et non du législateur. Dans une telle situation, l’exclusion desdites clauses contractuelles du champ d’application de la directive 93/13, en raison du fait que celles-ci reprennent des dispositions législatives ou réglementaires nationales ou se réfèrent à de telles dispositions, serait susceptible de mettre en cause le régime de protection des consommateurs institué par cette directive, puisqu’un professionnel pourrait facilement échapper au contrôle du caractère abusif des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle avec un consommateur, en rédigeant les clauses de ses contrats de la même façon que celles prévues par la réglementation nationale pour certaines catégories de contrats. Il s’ensuit que les clauses insérées par l’entreprise RWE dans les contrats concernés, lui conférant la possibilité de modifier les prix du gaz sans indiquer le motif, entrent dans le champ d’application de la directive 93/13.

S’agissant de la deuxième question posée par la juridiction de renvoi relative à l’appréciation du caractère abusif d’une clause standardisée, la Cour de justice constate que le législateur de l’Union européenne a reconnu, dans le cadre des contrats de durée indéterminée comme des contrats de fourniture de gaz, l’existence d’un intérêt légitime de l’entreprise d’approvisionnement de pouvoir modifier les frais de son service, tel qu’il ressort du point 2, sous b), deuxième alinéa, et d), de l’annexe de la directive 93/13 ainsi que de l’annexe A, sous b), de la directive 2003/55. Si une telle adaptation peut être légitime, il n’en reste pas moins qu’elle doit satisfaire aux exigences de « bonne foi », d’« équilibre » et de « transparence » établies par lesdites directives. Sur ce point, la Cour de justice considère qu’il appartient à la juridiction nationale d’effectuer ladite appréciation en fonction de toutes les circonstances propres au cas d’espèce, y compris l’ensemble des clauses figurant dans les conditions générales des contrats de consommation dont la clause litigieuse fait partie. Dans le cadre de son appréciation, elle doit notamment s’attacher à deux critères énoncés par la Cour de justice. Premièrement, il s’agit de déterminer si le contrat expose de manière transparente le motif et le mode de variation desdits frais, de sorte que le consommateur puisse prévoir, sur la base de critères clairs et compréhensibles, les modifications éventuelles de ces frais. Deuxièmement, le juge national doit, lors de son examen, vérifier si la faculté de résiliation conférée au consommateur peut être, dans les conditions concrètes, réellement exercée.

Un dernier point intéressant dans cet arrêt concerne ses effets dans le temps. A cet égard, la Cour de justice rejette les demandes du gouvernement allemand et de RWE de limiter les effets de l’arrêt dans le temps, au motif que l’existence d’un risque de troubles graves, susceptibles de justifier une telle limitation, n’est pas établie. Dès lors, l’interprétation que la Cour de justice  donne des dispositions pertinentes des directives 93/13 et 2003/55 doit s’appliquer non seulement aux modifications tarifaires qui surviennent après la date de prononcé de l’arrêt, mais à toutes les modifications tarifaires survenues depuis l’entrée en vigueur desdites dispositions.


Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, « Le régime de protection des consommateurs bénéficiaires de contrats de fourniture de gaz au regard des directives 93/13 et 2003/55 », www.ceje.ch, actualité du 28 mars 2013.