La question du remboursement des soins médicaux obtenus dans un autre Etat membre que celui où le patient est affilié occupe depuis de nombreuses années la Cour de justice. Sur la base d’une jurisprudence audacieuse, la Cour a reconnu aux patients, en leur qualité de destinataires de services (art. 56ss FUE), un droit au remboursement, dans leur Etat membre d’affiliation, pour les soins médicaux dispensés dans un autre Etat membre, à certaines conditions. Le droit au remboursement s’exerce quel que soit le système de financement des soins de santé mis en place dans les Etats membres : un système de remboursement où le patient paie directement le prestataire de soins médicaux et demande remboursement à son assurance, un système d’intervention en nature où le financement des prestataires de soins est assuré par les caisses d’assurance maladie sur la base de conventions et de tarifs préétablis ou un système national de santé où le financement est entièrement public et les soins prodigués gratuits. Cette jurisprudence a fait trembler les Etats membres, soucieux de préserver l’équilibre budgétaire de leur système de santé. La directive relative à l’application du droit des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (ci-dessous « directive sur les soins de santé »), qui a connu une genèse tumultueuse depuis la tentative avortée de codifier la jurisprudence de la Cour de justice dans ce domaine dans une disposition de la directive services, vise à clarifier les droits des patients, tels qu’ils ont été reconnus par la Cour, et à promouvoir la coopération en matière de soins de santé entre les Etats membres. Une fois publiée au Journal officiel, la directive devra être transposée dans le droit interne des Etats membres dans un délai de 30 mois.
La directive prévoit comme principe général que tous les soins de santé transfrontaliers sont remboursés à la seule condition qu’ils fassent partie des prestations auxquelles la personne assurée a droit dans son Etat membre d’affiliation (art. 7). Deux tempéraments sont toutefois apportés à ce principe général : premièrement, l’article 7, paragraphe 7, autorise l’Etat membre d’affiliation à imposer les conditions, critères d’admissibilité et formalités réglementaires et administratives qui sont appliqués pour les soins dispensés sur son territoire, comme une évaluation par un spécialiste travaillant pour le système de sécurité sociale obligatoire. Deuxièmement, l’article 8 énumère les soins de santé susceptibles d’être soumis à autorisation préalable. En plus des soins hospitaliers qui impliquent le séjour du patient à l’hôpital pour au moins une nuit, les soins de santé qui ne nécessitent pas de séjour en hôpital mais qui requièrent des infrastructures ou des équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux peuvent être soumis à autorisation préalable, à condition que les soins en question soient sujets à des impératifs de planification liés au maintien d’un accès suffisant et permanent à des soins de qualité ou à la volonté d’assurer la maîtrise des coûts. Les soins associés à des traitements exposant le patient ou la population à un risque particulier et ceux qui sont dispensés par un prestataire qui pourrait susciter des préoccupations graves liées à la qualité ou à la sûreté des soins peuvent également être soumis à autorisation préalable. L’article 8 précise, à son paragraphe 5, les conditions auxquelles les Etats membres peuvent être « forcés » de délivrer une autorisation préalable, soit en particulier si les soins réclamés ne peuvent être obtenus sur le territoire de l’Etat membre d’affiliation dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de l’état de santé du patient.
Outre le chapitre relatif au remboursement des soins de santé transfrontaliers, la directive contient de nombreuses dispositions visant à renforcer les droits des patients. Les Etats membres doivent notamment veiller à ce que les patients reçoivent les informations nécessaires pour faire des choix éclairés et disposent de procédures transparentes pour obtenir réparation de tout préjudice résultant de soins de santé. Des points de contact nationaux doivent être désignés dans chaque Etat membre, qui sont chargés de fournir aux patients les informations utiles leur permettant notamment d’exercer leurs droits en matière de soins de santé transfrontaliers.
La coopération entre les Etats membres fait l’objet d’un chapitre entier de la directive, et doit notamment porter sur les normes en matière de qualité et de sécurité et sur l’échange d’information concernant le droit d’exercice des professionnels de la santé inscrits dans les registres nationaux. La directive instaure également un mécanisme de reconnaissance des prescriptions médicales établies dans un autre Etat membre et encourage la création de réseaux européens de référence entre prestataires de soins de santé et centres d’expertise dans les Etats membres, destinés à améliorer l’accès au diagnostic, la fourniture de soins de qualité et la recherche médicale en particulier dans le domaine des maladies rares. Un autre réseau est envisagé pour les Etats membres qui choisissent de mettre en place un système de santé en ligne, afin de faciliter l’interopérabilité des différentes technologies de l’information qui sont utilisées pour la prestation de soins.
La directive sur les soins de santé se fonde à la fois sur l’article 114 du traité FUE (qui permet au Parlement européen et au Conseil d’adopter des mesures de rapprochement des législations en vue de favoriser l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur) et sur l’article 168 du traité FUE (qui garantit qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans toutes les actions de l’Union et confère certaines compétences à l’Union, en principe des compétences d’appui). La directive rappelle à plusieurs reprises qu’elle ne porte pas atteinte à la compétence exclusive des Etats membres, prévue à l’article 168, paragraphe 7, du traité FUE, de définir l'organisation et la fourniture des services de santé et de soins médicaux sur leur territoire.
L’adoption de la directive sur les soins de santé dans l’Union européenne, qui profite avant tout aux patients, est l’occasion de rappeler que dans les relations bilatérales Suisse-Union européenne, les prestations médicales dispensées à l’étranger ne sont remboursées par les assurances suisses que si elles ont été autorisées, soit sur la base du droit national, soit sur la base du règlement n° 1408/71, qui vise la coordination des systèmes de sécurité sociale et qui est applicable dans les relations CH-UE conformément à l’Accord sur la libre circulation des personnes (annexe II). En effet, le Tribunal fédéral refuse de reprendre, dans les relations bilatérales, la jurisprudence de la Cour de justice en matière de remboursement de soins sur laquelle se fonde la directive sur les soins de santé (voir notamment l’ATF 133 V 624).
Reproduction autorisée avec l’indication: Grisel Diane, "La directive sur les soins de santé transfrontaliers a enfin été adoptée", www.ceje.ch, actualité du 21/03/2011