La Cour, dans un arrêt de grande chambre rendu le mardi 13 septembre 2016 dans l’affaire C-165/14 Rendón Martín, confirme sa jurisprudence antérieure en matière de citoyenneté et adopte une lecture restrictive des limitations au droit de séjour des ressortissants d’Etats tiers, membres de la famille de citoyens de l’Union européenne.
M. Rendón Martín, de nationalité colombienne, est père de deux enfants mineurs nés en Espagne et qui ont toujours résidé dans ce même pays : un garçon de nationalité espagnole et une fille de nationalité polonaise. M. Rendón Martín a été condamné à une peine de neuf mois d’emprisonnement. Il a déposé une demande de permis de séjour en Espagne mais celle-ci a été refusée en raison de l’existence d’antécédents pénaux. L’affaire a été portée jusqu’au Tribunal Supremo (Cour suprême), lequel a formulé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
La question qui se pose est celle de savoir si M. Rendón Martín dispose d’un droit de séjour dérivé fondé, soit sur l’article 21 TFUE et la directive 2004/38, soit sur l’article 20 TFUE. Il est également question de savoir si les antécédents pénaux sont susceptibles de justifier une limitation de ce droit.
La Cour de justice analyse, dans un premier temps, l’applicabilité de l’article 21 TFUE et de la directive 2004/38. La fille de M. Rendón Martín étant de nationalité polonaise et résidante en Espagne, elle ne peut pas être considérée comme étant dans une situation purement interne malgré le fait qu’elle n’a pas effectivement fait usage de son droit à la libre circulation. La fille peut donc se prévaloir de l’article 21 TFUE et de la directive ; elle aura un droit de séjour si elle remplit les conditions de l’article 7, paragraphe 1, sous b) de la directive, soit disposer de ressources suffisantes et bénéficier d’une assurance maladie pour elle et les membres de sa famille.
Si les conditions exigées pour la fille de M. Rendón Martín sont remplies, il est nécessaire de savoir si M. Rendón Martín peut en tirer des droits. S’il est vrai qu’il ne peut pas être considéré comme un ascendant à charge au sens de la directive, la Cour de justice rappelle que « le refus de permettre au parent, ressortissant d’un Etat tiers, qui a effectivement la garde d’un citoyen de l’Union mineur, de séjourner avec ce citoyen dans l’Etat membre d’accueil priverait de tout effet utile le droit de séjour de celui-ci » (point 51). Cela confirme la jurisprudence dans les affaires Zhu et Chen et Alokpa et Modoulou. De ce fait, M. Rendón Martín, qui a la garde de sa fille, pourrait séjourner avec elle dans l’Etat membre d’accueil.
S’il est vrai que des limitations, telles que l’ordre public ou la sécurité publique, au droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille sont admises, celles-ci doivent être interprétées de manière restrictive. A cet égard, la Cour confirme son arrêt Tsakouridis en exigeant qu’il y ait une menace réelle et actuelle à l’ordre public ou à la sécurité publique. Elle considère notamment que la législation de l’Union s’oppose à une réglementation telle que celle en cause au principal, qui subordonne de manière automatique et sans possibilité de dérogation l’obtention du permis de séjour à l’absence d’antécédents pénaux (points 63 à 66).
Si la juridiction espagnole de renvoi devait considérer que les conditions de l’article 7, paragraphe premier, sous b) de la directive ne sont pas remplies, la Cour de justice analyse dans un deuxième temps si le droit de séjour de M. Rendón Martín peut dériver du droit de séjour de ses enfants en vertu de l’article 20 TFUE. A cet égard, la Cour confirme sa jurisprudence, développée à l’occasion de l’arrêt Ruiz Zambrano et selon laquelle l’article 20 TFUE s’oppose à des mesures nationales ayant pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union (point 71). L’article 20 TFUE serait violé tout simplement si les enfants de M. Rendón Martín devaient quitter le territoire de l’Union européenne comme conséquence du refus d’octroyer un droit de séjour en Espagne à leur père, ce que la juridiction espagnole devra vérifier. Cette disposition s’applique même lorsque les citoyens de l’Union n’ont pas fait usage de leur droit à la libre circulation. La Cour considère que, en empêchant le père de résider en Espagne, les enfants seraient contraints de le suivre en Colombie et, en conséquence, ils ne pourraient plus utiliser leur droit à la libre circulation sur le territoire de l’Union par la suite. Il est intéressant de noter que la Cour de justice admet l’application de cette ligne de jurisprudence tout en sachant que la famille pourrait éventuellement aller en Pologne (point 79). Les conditions d’application de l’arrêt Ruiz Zambrano semblent être assouplies par rapport à l’affaire Iida qui exigeait des « circonstances exceptionnelles ».
Bien qu’il soit possible, encore une fois, d’introduire des limitations à l’article 20 TFUE, la seule existence d’antécédents pénaux n’est pas suffisante. Ainsi, il faut prendre en compte l’ensemble des circonstances actuelles tout en tenant compte de la Charte des droits fondamentaux.
Si dans l’affaire Zhu et Chen, l’élément d’extranéité a été scrupuleusement vérifié, et si dans l’affaire Ruiz Zambrano, il n’a pas été exigé, la Cour de justice semble aujourd’hui atteindre un nouveau cap. Il est désormais établi que les limitations au droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille sont à interpréter de manière restrictive même dans des situations purement internes. Cette ligne de jurisprudence confirme la volonté de la Cour de doter les citoyens de l’Union d’un vrai statut juridique qui leur octroie des droits, non seulement lorsqu’ils ont suffisamment de ressources financières pour se déplacer dans un autre Etat membre, mais en toutes circonstances.
Elisabet Ruiz Cairó, "Chen, Ruiz Zambrano… Rendón Martín : un pas de plus franchi dans le développement du statut de citoyen de l’Union européenne", actualité du 14 septembre 2016, www.ceje.ch