Dans son arrêt préjudiciel du 18 décembre 2014 (aff. C-202/13), la Cour de justice de l’Union européenne affirme que le fait de refuser, d’annuler ou de retirer le droit d’entrée d’un ressortissant d’un Etat tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne et titulaire d’une carte de séjour au sens de la directive 2004/38, doit être justifié par la preuve d’un abus de droit en fonction de la situation individuelle du ressortissant. Des mesures générales et automatiques, telles que l’exigence préalable d’un permis d’entrée, ne sont pas conformes à la directive 2004/38.
M. McCarthy, ressortissant britannique et irlandais, établi en Espagne et sa femme, ressortissante d’un Etat tiers et titulaire d’une carte de séjour au titre de l’article 10 de la directive 2004/38, soutiennent que la réglementation britannique de 2006 relative à l’immigration n’est pas conforme à la directive 2004/38. La réglementation nationale exige d’une part, que tous les ressortissants d’Etats tiers titulaires d’une carte de séjour au titre de la directive 2004/38 sollicitent un permis d’entrée afin de se rendre au Royaume-Uni, ce permis pouvant prendre la forme d’un titre familial EEE valable pour 6 mois. D’autre part, le renouvellement de ce titre familial EEE nécessite de se rendre à une mission diplomatique pour y remplir un formulaire spécifiant la situation personnelle et financière de l’intéressé. En outre, Mme McCarthy s’était vu refuser l’embarquement pour des vols vers le Royaume-Uni lorsqu’elle a présenté uniquement sa carte de séjour espagnole. M. et Mme McCarthy ont donc formé recours devant la High Court of Justice en raison du refus d’accorder à Mme McCarthy un droit d’entrée au Royaume-Uni uniquement sur la base de sa carte de séjour espagnole. Le gouvernement britannique justifie sa réglementation sur la base de l’article 35 de la directive 2004/38 relatif à l’abus de droit et de l’article 1er du protocole n°20 sur l’application de certains aspects de l’article 26 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne au Royaume-Uni et à l’Irlande en tant que mesure de contrôle, compte tenu du fait que les cartes de séjour faisaient systématiquement l’objet de falsifications.
Se pose donc la question de savoir si l’article 35 de la directive 2004/38 et l’article 1er du protocole n°20 permettent à un Etat membre de l’Union européenne d’adopter une mesure générale soumettant le droit d’entrée de ressortissants d’Etats tiers, titulaires d’un droit de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne, à l’obtention préalable d’un permis d’entrée.
Sur la question de l’applicabilité de la directive, il est nécessaire que le ressortissant d’un Etat tiers soit membre de la famille du citoyen de l’Union européenne au sens de l’article 2 de la directive 2004/38 et que ce citoyen ait exercé son droit à la libre circulation dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité (article 3 directive 2004/38). Ces conditions posent problème au regard de la situation sous examen, le Royaume-Uni étant l’Etat membre de nationalité de M. McCarthy. Or, comme le souligne l’avocat général dans ses conclusions, une interprétation stricte de la directive 2004/38 reviendrait à autoriser une famille, dont un citoyen de l’Union européenne a exercé son droit de circulation, à se déplacer dans tous les Etats membres de l’Union européenne sauf dans l’Etat membre de nationalité du citoyen. Pour éviter cette conclusion, la Cour de justice fonde son raisonnement sur l’article 5 de la directive 2004/38 relatif au droit d’entrée des bénéficiaires de la directive et constate que celui-ci vise «les Etats membres », ce qui n’exclut pas l’Etat membre de nationalité du citoyen de l’Union. Ainsi, lorsqu’un ressortissant d’Etat tiers, bénéficiaire d’un droit de séjour au titre de la directive 2004/38, demande un droit d’entrée sur le territoire de l’Etat membre de nationalité du citoyen membre de sa famille après avoir effectivement résidé dans un autre Etat membre, il n’est pas soumis à l’obligation d’obtenir un visa ou à une obligation équivalente pour entrer sur ce territoire. La Cour de justice souligne que les Etats membres ne peuvent restreindre le droit de séjour des ressortissants d’Etats tiers, bénéficiaires de la directive 2004/38, qu’en vertu de l’article 27 (menace à l’ordre public) ou de l’article 35 (abus de droit) de la directive 2004/38. Les mesures prises sur la base de l’article 35 de la directive pour refuser une entrée, annuler ou retirer un droit de séjour doivent se fonder sur un examen individuel de la situation du ressortissant. Un refus d’entrée doit être justifié par des indices concrets mettant en doute l’authenticité de la carte de séjour ou l’exactitude des données y figurant et rapportant la preuve d’un abus de droit ou d’une fraude. Par ailleurs, la Cour de justice souligne l’importance des garanties procédurales des articles 30 et 31 de la directive pour que les ressortissants puissent faire valoir leurs droits. La justification du gouvernement britannique relative à l’existence d’un abus de droit ‘systémique’ est rejetée. Un nombre élevé de fraudes ou d’abus de droit ne peut justifier une mesure qui repose sur un objectif de prévention générale et qui exclut toute appréciation spécifique du comportement du ressortissant. Le caractère général et automatique de la réglementation britannique porte atteinte aux droits contenus dans la directive 2004/38 et à la libre circulation des citoyens de l’Union européenne.
Enfin, en ce qui concerne le contrôle aux frontières, la Cour constate que, certes, le Royaume-Uni peut exercer des contrôles pour vérifier si les conditions d’entrée des ressortissants sur son territoire sont bien remplies. En revanche, il ne peut déterminer lesdites conditions. Ainsi l’article 35 de la directive 2004/38 et l’article 1er du protocole n° 20 ne peuvent justifier l’exigence d’un permis d’entrée de la part des ressortissants d’Etats tiers membres de la famille d’un citoyen de l’Union européenne et titulaires d’une carte de séjour pour l’entrée sur le territoire d’un Etat membre.
Lucie Vétillard, "Conditions d’entrée des ressortissants d’Etats tiers, membres de la famille, d’un citoyen européen, jugées non conformes au droit de l’Union", http://www.ceje.ch/, actualité du 14 janvier 2015